Le général Norbert Dabira a été mis en examen pour crimes
contre l’humanité, jeudi à Paris, dans le cadre de l’affaire « des
disparus du Beach ». Une décision qui vient relancer la procédure
judiciaire sur l'un des épisodes les plus tragiques de l’Histoire congolaise.
L’affaire du Beach remonte à mai 1999 alors que la guerre
civile se termine. Depuis plusieurs semaines, le président Denis Sassou Nguesso
appelle ceux qui ont fui Brazzaville pendant le conflit à rentrer. Il s’adresse
notamment aux milliers de Congolais laris du Pool, qui se sont réfugiés de l’autre côté du
fleuve, en RDC. Le sujet est sensible car figureraient parmi eux d’anciens
miliciens « ninjas », ennemis d’hier du président Sassou. Des officiels sont donc chargés de se rendre
dans les camps pour rassurer la population et les convaincre de rentrer. Une
accord tripartite a également été signé entre Brazzaville, Kinshasa et le
Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) pour
mettre en oeuvre ce retour au pays dans de bonnes conditions.
Norbert Dabira |
Un bateau affrété spécialement effectue les premiers trajets
le 8 mai 1999. A l’arrivée des réfugiés au port fluvial du Beach à Brazzaville,
les militaires les séparent en deux groupes. D'un côté les femmes, les
vieillards et les enfants, de l'autre les jeunes hommes. Ceux là sont envoyés
dans les locaux de la garde républicaine. Ils ne paraîtront plus, probablement
liquidés parce que considérés par le pouvoir comme de possibles fauteurs de
trouble. Plus de 350 hommes ont ainsi disparu entre mai et novembre 1999 pendant « l’une des plus grandes entreprises de mise à mort froide et
calculée », de la guerre civile congolaise, selon les mots de
l’anthropologue congolais Patrice Yengo. S’appuyant sur plusieurs témoignages,
Yengo conteste la version officielle de simples bavures de la police et de l'armée, en décrivant de véritables rafles et un piège organisé sciemment. Les morts auraient été plus
nombreux encore, selon lui, si les familles des victime n’avaient aussi
rapidement alerté les organisations humanitaires comme la FIDH.
Rassemblées en un collectif sous l’impulsion du colonel
Touanga, qui a perdu son fils au Beach, les familles réclament la vérité et
l’aboutissement d’une procédure judiciaire équilibrée. Elles mettent en cause
plusieurs hauts-responsables congolais : le général Blaise Adoua,
commandant de la garde présidentielle pendant l'affaire mais décédé depuis, le ministre de l’Intérieur
Pierre Oba, le général Dabira à l’époque inspecteur des armées, et le directeur
de la police nationale Jean-François Ndenguet. Au Congo, le procès des disparus
du Beach, organisé à l’été 2005, s’est soldé par l’acquittement des accusés. En
France, la FIDH, la LDH et l’OCDH ont porté plainte en décembre 2001 pour
tortures, disparitions forcées et crimes contre l’humanité.
C’est dans ce cadre que le général Dabira a été mis en
examen jeudi à Paris, puis remis en liberté sous contrôle judiciaire. L’affaire s’annonce maintenant complexe tant sur le plan politique que judiciaire Les autorités congolaises ne cessent de dénoncer l’ingérence de la justice
française dans les affaires intérieures du pays et n’ont guère l’intention
de coopérer. Le ministre de la justice Aimé Emmanuel
Yoka a rappelé il y a quelques jours le principe de l’autorité de la chose jugée, c’est à dire du
procès qui s’est déjà tenu à Brazzaville et qui n’en appellerait pas un autre à l'étranger. Les organisations humanitaires défendent quant à elle le principe de compétence
universelle : la capacité d’un Etat à juger les crimes les plus
graves, quelque soient le lieu et la nationalité des auteurs ou des
victimes.
L’affaire du Beach désormais relancée ne risque pas de réchauffer
les relations déjà tendues entre François Hollande et Denis Sassou Nguesso. Lors de sa dernière visite à Paris, le président Sassou avait déjà mis en cause l’ingérence de la justice française dans une
autre affaire : « les biens mal acquis », dans laquelle des
magistrats enquêtent sur le patrimoine français de trois dirigeants africains, le Guinéen Obiang Nguema, le Gabonais Bongo et Denis Sassou Nguesso.