Article publié initialement sur le site de l'Afrique des idées et disponible ici
Ici un contrat obscur et ses acronymes barbares, là des comptes offshores et leurs circuits financiers opaques… Il faut une sacrée dose de patience et de ténacité pour percer les mystères de l’argent du pétrole au Congo-Brazzaville, ce que tentent de faire depuis des années Brice Mackosso et Christian Mounzeo.
Les deux hommes coordonnent la plateforme “Publiez ce que vous payez” dans ce petit pays d’Afrique centrale. Leur mot d’ordre est aussi simple que la tâche compliquée: exiger la transparence sur les revenus tirés du pétrole, la principale ressource du Congo qui représente 90% de ses exportations et plus de 75% de ses recettes publiques.
Dans leur viseur ces derniers mois ? La taxe maritime, un étrange impôt perçu par la SOCOTRAM, la société congolaise des transports maritimes, dirigée par Wilfrid Nguesso, un neveu du chef de l’Etat, Denis Sassou Nguesso.
Cette taxe maritime, “c’est juste un artifice juridique pour ponctionner sur les fonds publics et utiliser cet argent au bénéfice de la famille”, tranche Brice Mackosso.
Lorsque cette taxe est créée en 1997, les compagnies pétrolières estiment ne pas avoir à la payer, en vertu d’un principe de stabilité fiscale qu’elles ont négocié avec le gouvernement. Un montage est donc mis en place. Ce sont les armateurs de navires qui vont verser cet impôt à la SOCOTRAM. Puis ces armateurs se feront rembourser par les compagnies pétrolières, qui pourront à leur tour obtenir un remboursement (indirect) de l’Etat congolais en déduisant cette taxe de leurs coûts pétroliers.
Bref, c’est une taxe que l’Etat congolais paye finalement lui-même, une bizarrerie. Avec surtout un grand point d’interrogation dès le départ. Où va l’argent perçu par la SOCOTRAM?
“La taxe maritime n’a jamais été reversée au Trésor Public. Pendant vingt ans, cet argent n’a été utilisé que par la SOCOTRAM et il n’y a que la SOCOTRAM qui sait comment il a été utilisé”, affirme le militant de la société civile, qui a tiré la sonnette d’alarme.
Le 9 mars, Wilfrid Nguesso a finalement été mis en examen par la justice française pour « blanchiment de détournements de fonds publics », dans le cadre de l’enquête dite des “biens mal acquis”, un long feuilleton où le Congo joue les premiers rôles. Dans cette affaire, les dirigeants du Congo-Brazzaville, mais aussi de plusieurs autres pays pétroliers comme la Guinée équatoriale ou le Gabon, sont soupçonnés d’avoir détourné de l’argent public pour acquérir de luxueux biens privés: hôtels particuliers, belles voitures…
Coïncidence ou non, quelques jours après cette mise en examen, le premier ministre congolais Clément Mouamba a annoncé la suspension de la collecte de la taxe maritime. Une victoire pour Publiez ce que vous payez Congo qui regrette néanmoins que dans toute cette affaire les compagnies pétrolières françaises (Total) ou italienne (Eni Congo) n’aient pas réagi d’elles-mêmes. Selon Brice Mackosso, elles “savaient que cet argent n’allait pas au Trésor Public”.
Outre cette taxe maritime, les dossiers sont nombreux sur le bureau de Publiez ce que vous payez. Il y a notamment ces interrogations autour des contrats gaziers noués entre les Italiens d’Eni Congo et le gouvernement congolais à Pointe-Noire, la capitale pétrolière et économique du pays. Brice Mackosso est intrigué par les termes de cet accord “vraiment très avantageux pour Eni”.
L’ONG voudrait aussi en savoir plus sur les contrats commerciaux passés entre le Congo et la Chine. Selon elle, avec l’argent du pétrole, le gouvernement congolais provisionne un compte à la « Export-Import Bank of China » dans le cadre d'un remboursement de projets d'infrastructures. Cependant, “l’opinion publique demeure ignorante des projets d’infrastructures dont il s’agit. De même, on ne sait pas combien la Chine a investi”, déplore Publiez ce que vous payez.
En creux, l’organisation semble redouter que les dirigeants congolais, échaudés par l’affaire des biens mal acquis, tentent de mettre en place de nouveaux circuits financiers sur le sol chinois, où l’argent sera plus difficile à rapatrier. Face à toutes ces questions, l’ONG agit avec des moyens limités et le soutien de bonnes volontés comme ce “retraité du ministère des hydrocarbures” qui planche sur les contrats litigieux.
Travailler sur ce genre de questions ne va pas sans risque. “Je connais les limites”, témoigne ainsi Brice Mackosso. “Si je veux rester au Congo, ça ne sert pas que j’aille au suicide, c’est clair. Cela crée parfois de l’incompréhension avec la diaspora ou la presse étrangère. Mais je préfère rester au Congo et continuer à faire la politique des petits pas”.
La coordination internationale est donc cruciale. Publiez ce que vous payez est d’ailleurs un consortium de nombreuses ONG à travers le monde. Il y a quelques semaines, c’est la compagnie Shell qui a été pointée du doigt au Nigeria.
Deux ONG, Global Witness et Finance Uncovered, ont accusé l’entreprise pétrolière anglo-néerlandaise d’avoir sciemment financé la corruption lors du versement de plus d’un milliard de dollars sur un compte au Royaume-Uni afin de décrocher un contrat pétrolier.
Pour appuyer leur démonstration, les deux organisations citent des mails de dirigeants de Shell qui montrent qu’ils étaient au courant qu’une partie de l’argent allait être reversée à des intermédiaires afin de les remercier de l’obtention de ce contrat au Nigeria. https://www.globalwitness.org/fr/campaigns/oil-gas-and-mining/shell-knew/
mardi 4 juillet 2017
jeudi 30 mars 2017
Le désert, le silence... Le retour des Tinariwen, bluesmen du Sahara
Congopolis fait un détour par le Sahara, après une rencontre avec les Tinariwen, en tournée en France et aux Etats-Unis. Article réalisé pour l'AFP.
"Nous sommes du désert, habitués à l'espace et au silence. Le désert, ça porte chance pour trouver une bonne inspiration et pour composer", résume Abdallah, guitariste des Tinariwen, les porte-drapeaux de la culture touareg, en tournée avec leur nouvel album Elwan.
Leur musique, un blues habité et profond, mêle le son ravageur de guitares électriques aux chants traditionnels du Sahara. En 30 ans de carrière, ils ont joué partout ou presque et sont devenus un symbole pour leur peuple installé entre le Sud de l'Algérie et le Nord-Mali.
"Tinariwen, c'est le meilleur ambassadeur du Sahara à l'étranger. Même s'ils défendent leur identité et la langue tamasheq, leur musique parle à toutes les communautés de la région, les Toubous, les Songhaïs, les Peuls", souligne le journaliste Arnaud Contreras, auteur de "Sahara Rocks!".
En février, le groupe a sorti son huitième album "Elwan", enregistré en exil comme le précédent "Emmaar". Il aurait été trop dangereux de le faire chez eux, notamment à Kidal (nord du Mali) où sévissent encore trafiquants et jihadistes.
"Elwan" signifie "éléphants" et désigne "ces hommes qui écrasent tout chez nous, qui veulent être les plus forts", explique Abdallah. "On ne peut pas amener les ingénieurs du son occidentaux sur place à cause de l'insécurité", regrette le guitariste de 50 ans.
Les Tinariwen ont donc choisi d'autres "Tenere" - déserts en tamasheq, un mot qui revient en boucle dans l'album - pour graver leurs 13 morceaux: le parc de Joshua Tree en Californie et une oasis dans le sud du Maroc.
"Une communauté rassemblée"
Il en ressort un album nostalgique et comme souvent militant. Dans "Ittus" ("Notre objectif"), une complainte dépouillée et émouvante, une voix abîmée s'interroge: "Quel est notre objectif? C'est que notre communauté soit rassemblée. Un jour, on va voir le drapeau tamasheq sur notre territoire".
Certains membres des Tinariwen ont participé à la rébellion touareg dans les années 90. Formés dans les camps libyens de l'ancien dictateur Mouammar Kadhafi, ils ont pris les armes contre l'Etat malien pour revendiquer leurs droits. Après l'accord de 1996 avec le gouvernement malien, les riffs de guitare ont définitivement pris le dessus sur la kalachnikov.
Sans renoncer "à une forme de combat", considère Abdallah. "On a appris à faire de la musique quand on était militaires. On jouait beaucoup de chansons de la résistance", se souvient-il de sa voix posée, tout en bâillant un peu, épuisé par les sollicitations et la tournée qui s'annonce en France et aux Etats-Unis.
"Ici il y a beaucoup de voyages, de fatigues, de rendez-vous, des ambassades, beaucoup de contrôles. Beaucoup de gens de chez nous ont du mal avec les grandes villes", explique le compositeur à la fine moustache.
La relève, plus jeune
Avant les concerts à Paris, Marne-la-Vallée (24 mars), Calais (26 mars) ou Los Angeles (31 mars) ou Montréal (13 avril), lui et les siens se sont installés dans un appartement de Montreuil, près de Paris, au calme, dans une semi-pénombre.
Les habits y sont décontractés et on écoute de la musique pour patienter. Sur scène, ils revêtiront leurs tenues traditionnelles, les longs chèches destinés habituellement à protéger les visages du soleil et du sable.
En attendant, leur musique poursuit son voyage, parfois réappropriée par des groupes étrangers comme les Californiens de Fool's Gold, dont les boucles de guitares font écho à celles de leurs lointains voisins.
Au Sahara, quelques formations, plus jeunes, ont pris la relève comme Tamikrest. Et on peut croiser les chansons de Tinariwen de manière inattendue.
En plein reportage dans un camp de réfugiés au Niger, à Tillaberi, Arnaud Contreras était tombé sur un remix d'un de leurs morceaux, sur le téléphone portable d'une petite bande de jeunes. "Tinariwen, c'est un groupe très important pour les Touaregs. C'est la rébellion, quoi... On écoute aussi Terakaft, Tamikrest. C'est le son qui amène tout. La nostalgie. Si tu as des soucis, tu l'écoutes, ça va", lui avaient-ils raconté.
"Nous sommes du désert, habitués à l'espace et au silence. Le désert, ça porte chance pour trouver une bonne inspiration et pour composer", résume Abdallah, guitariste des Tinariwen, les porte-drapeaux de la culture touareg, en tournée avec leur nouvel album Elwan.
Leur musique, un blues habité et profond, mêle le son ravageur de guitares électriques aux chants traditionnels du Sahara. En 30 ans de carrière, ils ont joué partout ou presque et sont devenus un symbole pour leur peuple installé entre le Sud de l'Algérie et le Nord-Mali.
"Tinariwen, c'est le meilleur ambassadeur du Sahara à l'étranger. Même s'ils défendent leur identité et la langue tamasheq, leur musique parle à toutes les communautés de la région, les Toubous, les Songhaïs, les Peuls", souligne le journaliste Arnaud Contreras, auteur de "Sahara Rocks!".
En février, le groupe a sorti son huitième album "Elwan", enregistré en exil comme le précédent "Emmaar". Il aurait été trop dangereux de le faire chez eux, notamment à Kidal (nord du Mali) où sévissent encore trafiquants et jihadistes.
"Elwan" signifie "éléphants" et désigne "ces hommes qui écrasent tout chez nous, qui veulent être les plus forts", explique Abdallah. "On ne peut pas amener les ingénieurs du son occidentaux sur place à cause de l'insécurité", regrette le guitariste de 50 ans.
Les Tinariwen ont donc choisi d'autres "Tenere" - déserts en tamasheq, un mot qui revient en boucle dans l'album - pour graver leurs 13 morceaux: le parc de Joshua Tree en Californie et une oasis dans le sud du Maroc.
"Une communauté rassemblée"
Il en ressort un album nostalgique et comme souvent militant. Dans "Ittus" ("Notre objectif"), une complainte dépouillée et émouvante, une voix abîmée s'interroge: "Quel est notre objectif? C'est que notre communauté soit rassemblée. Un jour, on va voir le drapeau tamasheq sur notre territoire".
Certains membres des Tinariwen ont participé à la rébellion touareg dans les années 90. Formés dans les camps libyens de l'ancien dictateur Mouammar Kadhafi, ils ont pris les armes contre l'Etat malien pour revendiquer leurs droits. Après l'accord de 1996 avec le gouvernement malien, les riffs de guitare ont définitivement pris le dessus sur la kalachnikov.
Sans renoncer "à une forme de combat", considère Abdallah. "On a appris à faire de la musique quand on était militaires. On jouait beaucoup de chansons de la résistance", se souvient-il de sa voix posée, tout en bâillant un peu, épuisé par les sollicitations et la tournée qui s'annonce en France et aux Etats-Unis.
"Ici il y a beaucoup de voyages, de fatigues, de rendez-vous, des ambassades, beaucoup de contrôles. Beaucoup de gens de chez nous ont du mal avec les grandes villes", explique le compositeur à la fine moustache.
La relève, plus jeune
Avant les concerts à Paris, Marne-la-Vallée (24 mars), Calais (26 mars) ou Los Angeles (31 mars) ou Montréal (13 avril), lui et les siens se sont installés dans un appartement de Montreuil, près de Paris, au calme, dans une semi-pénombre.
Les habits y sont décontractés et on écoute de la musique pour patienter. Sur scène, ils revêtiront leurs tenues traditionnelles, les longs chèches destinés habituellement à protéger les visages du soleil et du sable.
En attendant, leur musique poursuit son voyage, parfois réappropriée par des groupes étrangers comme les Californiens de Fool's Gold, dont les boucles de guitares font écho à celles de leurs lointains voisins.
Au Sahara, quelques formations, plus jeunes, ont pris la relève comme Tamikrest. Et on peut croiser les chansons de Tinariwen de manière inattendue.
En plein reportage dans un camp de réfugiés au Niger, à Tillaberi, Arnaud Contreras était tombé sur un remix d'un de leurs morceaux, sur le téléphone portable d'une petite bande de jeunes. "Tinariwen, c'est un groupe très important pour les Touaregs. C'est la rébellion, quoi... On écoute aussi Terakaft, Tamikrest. C'est le son qui amène tout. La nostalgie. Si tu as des soucis, tu l'écoutes, ça va", lui avaient-ils raconté.
lundi 13 mars 2017
"Il y a une lame de fond de la société civile africaine"
Article paru initialement sur le site de l'Afrique des idées et disponible ici
L'alternance est-elle la mère de toutes les batailles sur le continent africain ? “Tournons la page”, c’est en tout cas le mot d’ordre d’une campagne de la société civile qui intervient dans sept pays africains – Congo-Brazzaville, RDC, Gabon, Tchad, Niger, Burundi et Cameroun – afin de dénoncer les potentats africains.
Ce groupement d’associations a notamment appelé au boycott de la Coupe d’Afrique des Nations après la réélection controversée d’Ali Bongo au Gabon. Laurent Duarte, l’un des coordinateurs de ce mouvement, explique cette démarche.
Pourquoi faut-il “tourner la page” en Afrique ?
Dans de nombreux pays africains, notamment francophones, des familles pour certaines au pouvoir depuis cinquante ans confisquent l’avenir politique de la jeunesse. Plus de 85% des Gabonais ou des Togolais n’ont connu qu’une famille au pouvoir. Nous, on considère que le développement c’est un développement inclusif, total, que parmi cela il n’y a pas simplement la croissance économique mais également l’apaisement politique. Il faut tourner la page des dictatures bien entendu, mais aussi écrire une nouvelle page de paix et de stabilité dans ces pays.
N’est-il pas réducteur de demander un changement à la tête du pays si c’est tout le système qui est vicié ? Qui nous dit que la situation ne va pas rester la même avec un nouveau dirigeant ?
L’alternance démocratique, ce n’est qu’une porte d’entrée. Après, elle est décisive car elle ouvre les champs des possibles. Sans le départ de ces gouvernants, il ne peut y avoir de changements durables. Bien entendu, notre travail au quotidien ne se limite pas à dire qu’Ali Bongo doit être renversé par Jean Ping, Faure Gnassingbé par Jean-Pierre Fabre ou que sais-je encore… L’idée, ce n’est pas simplement un changement de tête. C’est pour ça que notre dernier rapport concerne la fiscalité. Car il ne peut pas y avoir de démocratie sans justice fiscale. En même temps, quand on est un militant de la société civile, il est intéressant d’accompagner les coups de projecteurs médiatiques qu’il peut y avoir sur l’Afrique, notamment pendant les élections qui sont un moment décisif. Bien sûr, le combat ne se réduit pas à ça. Quand bien même on arrive à faire tomber les dictatures, on n’aura pas réglé les problèmes de corruption ou de développement.
La vague d’alternances qui a pu avoir lieu en Afrique de l’Ouest vous fait-elle dire qu’on est à un moment charnière ?
Complètement. Entre 2015 et 2017, environ trente pays africains ont connu ou vont connaître des élections présidentielles. A première vue, on peut dire que ça n’a pas marché partout. En Afrique de l’Ouest, ça avance même s’il reste le Togo qui est l’exception qui confirme la règle. On concentre nos efforts sur l’Afrique Centrale, qui est le nœud dictatorial en Afrique et le nœud des Etats rentiers. Le lien entre dictature et rentes n’est d’ailleurs pas anodin. On sent qu’il y a une lame de fond dans la société civile. Si ce n’est pas pour demain, ce sera pour après-demain. En RDC, depuis 2006 il y a une montée en puissance des mouvements citoyens qui est indéniable. Au Gabon, qui aurait cru que l’archétype du gouvernement “françafricain” aurait pu vaciller comme ça aussi fortement ? Qui aurait pu croire qu’au Tchad, Idriss Déby allait devoir enfermer ses opposants de la société civile les plus importants pour réussir son coup de force électoral ? Pour nous il y a des avancées, même si bien sûr ce n’est pas linéaire.
Quelles sont les situations qui vous inquiètent le plus aujourd’hui ?
Il y a inquiétude et importance, ce sont deux choses différentes. Clairement, le Burundi est dans une situation qui nous effraie. La FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme), qui est membre de notre réseau, a tiré la sonnette d’alarme avec un rapport sur les dynamiques génocidaires à la tête de l’Etat. Les membres de notre campagne travaillent en exil depuis Kigali, ils ne peuvent plus travailler sur place. Cela montre la dureté du régime. En termes d’inquiétude il y a bien sûr le Tchad où Idriss Déby fait face à une grogne sociale. On connaît sa capacité à décapiter la société civile en emprisonnant ses opposants, voire en passant parfois à l’acte. Et puis le Cameroun qui depuis quelques semaines montre qu’on n’est pas seulement dans une dictature “soft” comme on a tendance à présenter le régime de Paul Biya, et où quand il s’agit de réprimer, Biya est aussi doué malheureusement que ses collègues de Brazzaville ou de N'Djamena. Après, en termes d’importance politique, il y a deux pays qui vont être au cœur de notre travail dans les deux prochaines années. C’est la RDC bien sûr parce que c’est un pays continent et décisif. Nous croyons à l’effet domino en Afrique Centrale. Lorsqu'il y en a un qui aura basculé, ça fera un précédent. On espère que Kabila partira dans un climat apaisé et avec un vote respecté. L’autre c’est le Cameroun en 2018, il va y avoir toutes les élections locales et présidentielles, on sent bien qu’il y a une tension sociale qui est énorme et qu’on est face à un régime à bout de souffle.
Le risque de votre discours n’est-il pas d’entretenir une confusion entre mouvement de la société civile et opposition ?
On a toujours été très clair. Il n’y a aucun mouvement politique dans notre organisation. On est opposé à des dictatures, c’est certain, mais nous ne sommes pas des opposants politiques. C’est complètement différent. On ne peut pas nous accuser d'être complaisant à l’égard de quelconque opposant que ce soit. Si je prends le cas de Jean Ping au Gabon, notre position, qui est incarnée par Marc Ona Essangui sur place, est très claire. Aujourd’hui, Jean Ping est le président élu dans les urnes aux dernières élections comme le montrent les rapports de l’Union Européenne. Néanmoins, si demain il arrive au pouvoir et qu’il fait les mêmes choses qu’Ali Bongo – et on a des craintes potentielles vu d’où il vient – il nous trouvera sur son chemin.
Pendant la Coupe d’Afrique des Nations, vous avez appelé au boycott de la compétition au Gabon. Dans un de vos communiqués, il y a même eu pendant un moment un appel au sabotage. Ce type d’actions font-elles partie de votre registre ?
Il y a eu véritablement un couac, ça arrive dans un mouvement de la société civile qui réunit 200 associations. Nous, on était contre le sabotage. Cela a été ajouté par une association qui a cosigné l’article. On n’a pas été assez ferme dans la relecture. Nous étions vraiment sur du boycott. Sabotage ça fait penser à des attaques armées, il n’a jamais été question de cela. On est pacifique, on est non-violent. Toutes les formes de non-violence, et il y en a des centaines, sont dans notre répertoire d’actions. On n’appellera jamais à la violence, au contraire. S’engager sur le chemin de la violence par rapport à des régimes dictatoriaux, c’est forcément perdre, c’est là où ils sont les plus forts.
Un certain nombre de ces pays ont des liens avec la France. Quel bilan tirez-vous du quinquennat finissant de François Hollande ?
C’est un bilan assez décevant, il faut le dire. Il y avait ce moment important en 2015-2016 avec une ligne rouge infranchissable qui était la question du tripatouillage constitutionnel à des fins personnelles. C’était quelque chose d’indéfendable pour nous. On attendait que François Hollande soit ferme sur ces questions. Il ne l’a pas été, notamment sur le Congo-Brazzaville. On ne l’a pas entendu sur le Tchad malgré une élection non transparente. C’est une déception. Si on compare à ce qui s’est passé avant, on est sorti du schéma classique de la Françafrique de Papa qui était quand même encore assez présent avec Nicolas Sarkozy.
Néanmoins, on aurait attendu – un peu comme les Etats-Unis ont pu le faire parfois de manière cynique – un discours très clair sur les droits humains. Ça n’a pas été le cas. Il y a un problème d’alignement de la politique africaine sur la politique de défense de la France. Jean-Yves Le Drian (ministre de la Défense) a eu beaucoup plus d’influence que les ministres des Affaires étrangères Laurent Fabius ou Jean-Marc Ayrault. Quand on voit le Tchad d’Idriss Déby c’est vraiment l’exemple type de l’échec de la politique africaine de la France. Un dictateur qui était dans une situation délicate aussi bien socialement que politiquement ressort du mandat de François Hollande renforcé, considéré comme le grand défenseur de la stabilité de l’Afrique. Et le premier ministre Bernard Cazeneuve pour son premier voyage à l'étranger lui rend visite…
Sur le Gabon, la position française ne vous a pas semblé plus équilibrée ?
On a cru à un moment donné qu’il allait y avoir une vraie inflexion sur le Gabon. Et puis il y a eu un rétropédalage assez clair, matérialisé par la visite de Manuel Valls au Togo, où endossant la casquette de présidentiable, il dit qu’Ali Bongo est le président en place et un interlocuteur légitime. Cette inflexion aurait dû être contestée par le président de la République. Ça n’a pas été le cas, cela montre que bon an mal an on s'accommode de cette position.
La coordination de votre campagne a lieu depuis Paris. Ne risquez-vous pas un procès en néocolonialisme ?
C’est souvent l’argument préféré des dictateurs aux abois, ces mêmes dictateurs qui au quotidien bradent leur indépendance et leur souveraineté à des entreprises. Donc ça nous fait un peu rire jaune. Pourquoi Tournons la page a une coordination en France ? Premièrement parce qu’ici on a la liberté d’expression et la possibilité de parler en toute tranquillité. Et les moyens financiers aussi pour faire avancer ces mouvements citoyens qui ont des conditions économiques fragiles en situation dictatoriale. On est la caisse de résonance de ce qui se passe en Afrique.
Avec ces dirigeants qui s'accrochent au pouvoir depuis tant d'années, ne craignez-vous pas une lassitude du grand public sur ce type de sujets ?
Il n’y a pas de lassitude du public africain quand il entend les mouvements citoyens se battre. Un sondage vaut ce qu’il vaut mais en RDC, une enquête lancée par Freedom House montre que 80 % des Congolais veulent voir Kabila partir et une transition se mettre en place. La lassitude au niveau africain n’est pas là. C’est un mauvais procès. Sur la France et l’Europe, c’est vrai. Mais il faut avoir en tête que l’avenir démocratique et politique de l’Afrique ne concerne pas simplement l’Afrique. Si on veut comprendre les vagues migratoires massives depuis l'Erythrée ou le Soudan, il faut regarder les régimes politiques qui y sévissent. Pour comprendre la résurgence du terrorisme dans la bande sahélienne et autour du Lac Tchad, il faut aussi regarder la situation de ces jeunes qui voient depuis des décennies le même pouvoir leur voler leur avenir politique. L’avenir de l’Europe est lié à celui de l’Afrique.
L'alternance est-elle la mère de toutes les batailles sur le continent africain ? “Tournons la page”, c’est en tout cas le mot d’ordre d’une campagne de la société civile qui intervient dans sept pays africains – Congo-Brazzaville, RDC, Gabon, Tchad, Niger, Burundi et Cameroun – afin de dénoncer les potentats africains.
Ce groupement d’associations a notamment appelé au boycott de la Coupe d’Afrique des Nations après la réélection controversée d’Ali Bongo au Gabon. Laurent Duarte, l’un des coordinateurs de ce mouvement, explique cette démarche.
Pourquoi faut-il “tourner la page” en Afrique ?
Dans de nombreux pays africains, notamment francophones, des familles pour certaines au pouvoir depuis cinquante ans confisquent l’avenir politique de la jeunesse. Plus de 85% des Gabonais ou des Togolais n’ont connu qu’une famille au pouvoir. Nous, on considère que le développement c’est un développement inclusif, total, que parmi cela il n’y a pas simplement la croissance économique mais également l’apaisement politique. Il faut tourner la page des dictatures bien entendu, mais aussi écrire une nouvelle page de paix et de stabilité dans ces pays.
N’est-il pas réducteur de demander un changement à la tête du pays si c’est tout le système qui est vicié ? Qui nous dit que la situation ne va pas rester la même avec un nouveau dirigeant ?
L’alternance démocratique, ce n’est qu’une porte d’entrée. Après, elle est décisive car elle ouvre les champs des possibles. Sans le départ de ces gouvernants, il ne peut y avoir de changements durables. Bien entendu, notre travail au quotidien ne se limite pas à dire qu’Ali Bongo doit être renversé par Jean Ping, Faure Gnassingbé par Jean-Pierre Fabre ou que sais-je encore… L’idée, ce n’est pas simplement un changement de tête. C’est pour ça que notre dernier rapport concerne la fiscalité. Car il ne peut pas y avoir de démocratie sans justice fiscale. En même temps, quand on est un militant de la société civile, il est intéressant d’accompagner les coups de projecteurs médiatiques qu’il peut y avoir sur l’Afrique, notamment pendant les élections qui sont un moment décisif. Bien sûr, le combat ne se réduit pas à ça. Quand bien même on arrive à faire tomber les dictatures, on n’aura pas réglé les problèmes de corruption ou de développement.
La vague d’alternances qui a pu avoir lieu en Afrique de l’Ouest vous fait-elle dire qu’on est à un moment charnière ?
Complètement. Entre 2015 et 2017, environ trente pays africains ont connu ou vont connaître des élections présidentielles. A première vue, on peut dire que ça n’a pas marché partout. En Afrique de l’Ouest, ça avance même s’il reste le Togo qui est l’exception qui confirme la règle. On concentre nos efforts sur l’Afrique Centrale, qui est le nœud dictatorial en Afrique et le nœud des Etats rentiers. Le lien entre dictature et rentes n’est d’ailleurs pas anodin. On sent qu’il y a une lame de fond dans la société civile. Si ce n’est pas pour demain, ce sera pour après-demain. En RDC, depuis 2006 il y a une montée en puissance des mouvements citoyens qui est indéniable. Au Gabon, qui aurait cru que l’archétype du gouvernement “françafricain” aurait pu vaciller comme ça aussi fortement ? Qui aurait pu croire qu’au Tchad, Idriss Déby allait devoir enfermer ses opposants de la société civile les plus importants pour réussir son coup de force électoral ? Pour nous il y a des avancées, même si bien sûr ce n’est pas linéaire.
Quelles sont les situations qui vous inquiètent le plus aujourd’hui ?
Il y a inquiétude et importance, ce sont deux choses différentes. Clairement, le Burundi est dans une situation qui nous effraie. La FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme), qui est membre de notre réseau, a tiré la sonnette d’alarme avec un rapport sur les dynamiques génocidaires à la tête de l’Etat. Les membres de notre campagne travaillent en exil depuis Kigali, ils ne peuvent plus travailler sur place. Cela montre la dureté du régime. En termes d’inquiétude il y a bien sûr le Tchad où Idriss Déby fait face à une grogne sociale. On connaît sa capacité à décapiter la société civile en emprisonnant ses opposants, voire en passant parfois à l’acte. Et puis le Cameroun qui depuis quelques semaines montre qu’on n’est pas seulement dans une dictature “soft” comme on a tendance à présenter le régime de Paul Biya, et où quand il s’agit de réprimer, Biya est aussi doué malheureusement que ses collègues de Brazzaville ou de N'Djamena. Après, en termes d’importance politique, il y a deux pays qui vont être au cœur de notre travail dans les deux prochaines années. C’est la RDC bien sûr parce que c’est un pays continent et décisif. Nous croyons à l’effet domino en Afrique Centrale. Lorsqu'il y en a un qui aura basculé, ça fera un précédent. On espère que Kabila partira dans un climat apaisé et avec un vote respecté. L’autre c’est le Cameroun en 2018, il va y avoir toutes les élections locales et présidentielles, on sent bien qu’il y a une tension sociale qui est énorme et qu’on est face à un régime à bout de souffle.
Le risque de votre discours n’est-il pas d’entretenir une confusion entre mouvement de la société civile et opposition ?
On a toujours été très clair. Il n’y a aucun mouvement politique dans notre organisation. On est opposé à des dictatures, c’est certain, mais nous ne sommes pas des opposants politiques. C’est complètement différent. On ne peut pas nous accuser d'être complaisant à l’égard de quelconque opposant que ce soit. Si je prends le cas de Jean Ping au Gabon, notre position, qui est incarnée par Marc Ona Essangui sur place, est très claire. Aujourd’hui, Jean Ping est le président élu dans les urnes aux dernières élections comme le montrent les rapports de l’Union Européenne. Néanmoins, si demain il arrive au pouvoir et qu’il fait les mêmes choses qu’Ali Bongo – et on a des craintes potentielles vu d’où il vient – il nous trouvera sur son chemin.
Pendant la Coupe d’Afrique des Nations, vous avez appelé au boycott de la compétition au Gabon. Dans un de vos communiqués, il y a même eu pendant un moment un appel au sabotage. Ce type d’actions font-elles partie de votre registre ?
Il y a eu véritablement un couac, ça arrive dans un mouvement de la société civile qui réunit 200 associations. Nous, on était contre le sabotage. Cela a été ajouté par une association qui a cosigné l’article. On n’a pas été assez ferme dans la relecture. Nous étions vraiment sur du boycott. Sabotage ça fait penser à des attaques armées, il n’a jamais été question de cela. On est pacifique, on est non-violent. Toutes les formes de non-violence, et il y en a des centaines, sont dans notre répertoire d’actions. On n’appellera jamais à la violence, au contraire. S’engager sur le chemin de la violence par rapport à des régimes dictatoriaux, c’est forcément perdre, c’est là où ils sont les plus forts.
Un certain nombre de ces pays ont des liens avec la France. Quel bilan tirez-vous du quinquennat finissant de François Hollande ?
C’est un bilan assez décevant, il faut le dire. Il y avait ce moment important en 2015-2016 avec une ligne rouge infranchissable qui était la question du tripatouillage constitutionnel à des fins personnelles. C’était quelque chose d’indéfendable pour nous. On attendait que François Hollande soit ferme sur ces questions. Il ne l’a pas été, notamment sur le Congo-Brazzaville. On ne l’a pas entendu sur le Tchad malgré une élection non transparente. C’est une déception. Si on compare à ce qui s’est passé avant, on est sorti du schéma classique de la Françafrique de Papa qui était quand même encore assez présent avec Nicolas Sarkozy.
Néanmoins, on aurait attendu – un peu comme les Etats-Unis ont pu le faire parfois de manière cynique – un discours très clair sur les droits humains. Ça n’a pas été le cas. Il y a un problème d’alignement de la politique africaine sur la politique de défense de la France. Jean-Yves Le Drian (ministre de la Défense) a eu beaucoup plus d’influence que les ministres des Affaires étrangères Laurent Fabius ou Jean-Marc Ayrault. Quand on voit le Tchad d’Idriss Déby c’est vraiment l’exemple type de l’échec de la politique africaine de la France. Un dictateur qui était dans une situation délicate aussi bien socialement que politiquement ressort du mandat de François Hollande renforcé, considéré comme le grand défenseur de la stabilité de l’Afrique. Et le premier ministre Bernard Cazeneuve pour son premier voyage à l'étranger lui rend visite…
Sur le Gabon, la position française ne vous a pas semblé plus équilibrée ?
On a cru à un moment donné qu’il allait y avoir une vraie inflexion sur le Gabon. Et puis il y a eu un rétropédalage assez clair, matérialisé par la visite de Manuel Valls au Togo, où endossant la casquette de présidentiable, il dit qu’Ali Bongo est le président en place et un interlocuteur légitime. Cette inflexion aurait dû être contestée par le président de la République. Ça n’a pas été le cas, cela montre que bon an mal an on s'accommode de cette position.
La coordination de votre campagne a lieu depuis Paris. Ne risquez-vous pas un procès en néocolonialisme ?
C’est souvent l’argument préféré des dictateurs aux abois, ces mêmes dictateurs qui au quotidien bradent leur indépendance et leur souveraineté à des entreprises. Donc ça nous fait un peu rire jaune. Pourquoi Tournons la page a une coordination en France ? Premièrement parce qu’ici on a la liberté d’expression et la possibilité de parler en toute tranquillité. Et les moyens financiers aussi pour faire avancer ces mouvements citoyens qui ont des conditions économiques fragiles en situation dictatoriale. On est la caisse de résonance de ce qui se passe en Afrique.
Avec ces dirigeants qui s'accrochent au pouvoir depuis tant d'années, ne craignez-vous pas une lassitude du grand public sur ce type de sujets ?
Il n’y a pas de lassitude du public africain quand il entend les mouvements citoyens se battre. Un sondage vaut ce qu’il vaut mais en RDC, une enquête lancée par Freedom House montre que 80 % des Congolais veulent voir Kabila partir et une transition se mettre en place. La lassitude au niveau africain n’est pas là. C’est un mauvais procès. Sur la France et l’Europe, c’est vrai. Mais il faut avoir en tête que l’avenir démocratique et politique de l’Afrique ne concerne pas simplement l’Afrique. Si on veut comprendre les vagues migratoires massives depuis l'Erythrée ou le Soudan, il faut regarder les régimes politiques qui y sévissent. Pour comprendre la résurgence du terrorisme dans la bande sahélienne et autour du Lac Tchad, il faut aussi regarder la situation de ces jeunes qui voient depuis des décennies le même pouvoir leur voler leur avenir politique. L’avenir de l’Europe est lié à celui de l’Afrique.
lundi 2 janvier 2017
La guerre du Cameroun, un conflit colonial oublié
Congopolis fait un détour par le Cameroun pour parler d'un livre aussi utile que bien informé sur le conflit colonial au Cameroun. Cet article a été publié initialement sur le site de l'Afrique des idées et est disponible ici
C’est quasiment un travail archéologique que mènent depuis une dizaine d’années l’historien Jacob Tatsitsa et les journalistes Thomas Deltombe et Manuel Domergue. Déterrer de l’oubli la guerre du Cameroun, un conflit colonial et une guerre civile d’une rare violence, que l’Etat français et le régime camerounais ont sciemment passés sous silence.
Depuis ses débuts à bas bruit au milieu des années 50 aux derniers
soubresauts au début des années 70, cette guerre a fait a minima des
dizaines de milliers de morts. “Le chiffre de plus de 100.000 morts est
crédible”, estime même Thomas Deltombe, l’un des auteurs interrogés par l’Afrique des idées.
“Leur travail bat en brèche un cliché qui a curieusement encore cours : celui d’une décolonisation relativement tranquille en Afrique subsaharienne, contrairement à ailleurs. Le Cameroun prouve que c’est totalement faux”, témoigne l’historien Pascal Blanchard, spécialiste de la décolonisation.
C’est quasiment un travail archéologique que mènent depuis une dizaine d’années l’historien Jacob Tatsitsa et les journalistes Thomas Deltombe et Manuel Domergue. Déterrer de l’oubli la guerre du Cameroun, un conflit colonial et une guerre civile d’une rare violence, que l’Etat français et le régime camerounais ont sciemment passés sous silence.
C’est pourtant “une petite guerre d’Algérie”, selon l’expression d’un responsable français de l’époque, cité dans leur livre La Guerre du Cameroun, l’invention de la Françafrique paru tout récemment aux éditions de La Découverte.
“Leur travail bat en brèche un cliché qui a curieusement encore cours : celui d’une décolonisation relativement tranquille en Afrique subsaharienne, contrairement à ailleurs. Le Cameroun prouve que c’est totalement faux”, témoigne l’historien Pascal Blanchard, spécialiste de la décolonisation.
“La France a bien connu trois guerres coloniales, l’Indochine,
l’Algérie et celle du Cameroun, qui reste complètement taboue. Avec la
volonté des militaires français de redorer le blason de l’armée après
l’échec indochinois”, souligne-t-il encore.
Le conflit qui démarre est d’abord la répression d’un mouvement
indépendantiste à l’influence grandissante, l’Union des populations du
Cameroun (UPC), créée en 1948. Ancienne colonie allemande, le Cameroun
est à l’époque sous la tutelle des Nations Unies. L’administration en
est confiée à la France pour 85% du territoire et à la Grande-Bretagne
pour les 15% restants.
Paniquées par les mots d’ordre de l’UPC et son inspiration marxiste –
dans le contexte de la guerre froide – les autorités françaises font
tout pour contrer le succès croissant du mouvement jusqu’à l’interdire
en juillet 1955, après une série d’émeutes et de violents affrontements.
“Pacification”
Fin 56, l’UPC entre dans la lutte armée. La France lance elle une
opération “de pacification” en Sanaga Maritime, une région de l’Ouest
camerounais où se concentrent les principaux foyers insurrectionnels.
La lutte est aussi psychologique, avec des dirigeants français acquis
aux méthodes contre-subversives en vogue, la doctrine de guerre
révolutionnaire (DGR) qui vise à discréditer l’adversaire chez les
civils, à les “immuniser” contre le “communisme” et la “subversion
upéciste”. Dans une circulaire de février 55, le haut-commissaire Roland
Pré prône une “propagande de combat”, afin que la “masse à qui elle
s’adresse puisse avoir l’illusion de penser par elle-même”.
"Zone de pacification" de la Sanaga Maritime, 27 mai 1957 |
Le conflit s’installe, le leader de l’UPC Ruben Um Nyobè est éliminé le
13 septembre 1958 lors d’une
expédition de soldats tchadiens et
camerounais, encadrés par des militaires français.
Le 1er janvier 1960, l’indépendance négociée par la France n’est que de
façade selon les auteurs, avec un régime acquis à Paris. Le 13 octobre,
un autre leader de l’UPC, Félix Moumié, est empoisonné à Genève par un
agent des services secrets français qui se fait passer pour un
journaliste. Moumié meurt trois semaines plus tard.
La guerre se poursuit et monte encore en intensité dans la région
Bamiléké, dans l’Ouest du pays, entre les maquisards et le régime du
nouveau président Ahmadou Ahidjo, soutenu militairement par les
Français. Raids aériens, usages systématiques de la torture, des
militaires français assistent et participent à des opérations qui font
froid dans le dos. Le sergent-chef Max Bardet survole en hélicoptère ce qu’il appelle des
“massacres contrôlés”, évoque des jets de “grenades à phosphore” sur les
maquisards en fuite ou la pratique du “bennage” pour jeter à la rivière
les gens fraîchement tués.
Ces violences ont pourtant lieu dans l’indifférence médiatique. Le
conflit est oblitéré par la guerre d’Algérie qui a lieu au même moment
et monopolise l’attention. Il n’y a pas d’appelés comme en Algérie, les
officiers français sont relativement peu nombreux et les combats,
éparpillés dans le temps et dans l’espace, sont en quelque sorte sous
traités. Avant l’indépendance, les Français sollicitent des contingents
africains notamment tchadiens. Après, c’est le régime camerounais et son
armée qui sont à la manœuvre.
Se mêlent d’ailleurs au combat contre les insurgés de multiples enjeux
locaux, des luttes de pouvoir, des conflits pour l’appropriation des
terres, des rivalités entre chefs traditionnels et militants de
nouvelles générations ou des tensions d’ordre ethnique.
“Une approche un peu franco centrée”
C’est d’ailleurs le principal reproche que l’on peut faire aux auteurs depuis leur premier livre Kamerun, une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948-1971)
paru dès 2011 : présenter le conflit comme une “guerre totale”
intégralement pilotée par Paris et sous-estimer les dynamiques
proprement camerounaises qui échappent en partie aux dirigeants
français.
“C’est tout à fait compréhensible, mais c’est une approche un peu
franco centrée”, constate ainsi l’historien camerounais Yves Mintoogue,
tout en soulignant la somme d’archives et de témoignages collectés par
les trois auteurs. “Beaucoup d’acteurs camerounais ont utilisé le conflit colonial pour se
repositionner au niveau local et jouer leurs propres cartes. C’est une
association de malfaiteurs où les élites camerounaises avaient leurs
intérêts”, explique-t-il.
Pour Thomas Deltombe, si la question est
légitime, il y a pourtant “un piège à vouloir décrire les acteurs
camerounais officiels, Ahidjo et son régime en particulier comme des
acteurs libres de leurs mouvements et de leurs fonctionnements. Nous, on considère qu’il ne faut pas oublier les enjeux de domination
coloniale et néocoloniale. Il faut faire attention de ne pas considérer
qu’Ahidjo et De Gaulle discutent sur un pied d’égalité, c’est
archi-faux”.
“Pure invention”
Reste que les autorités françaises ne facilitent pas le travail des
historiens. En 2011, le premier ministre François Fillon a tout
simplement qualifié de “pure invention” l’assassinat de responsables
nationalistes camerounais par la France.
En juillet 2015, François Hollande a finalement reconnu des “épisodes
extrêmement tourmentés et tragiques puisqu’après l’indépendance il y a
eu une répression en Sanaga Maritime et au pays Bamiléké” et il s’est
dit favorable à ce que ”les livres d’histoire puissent être ouverts et
les archives aussi”.*
Thomas Deltombe réclame lui “une reconnaissance claire, précise, si
possible solennelle et un peu digne des autorités françaises”, et des
mesures concrètes comme le déblocage de fonds pour rendre les archives
accessibles aux historiens camerounais et étrangers. Il pose aussi la question polémique de réparations financières pour les
victimes du conflit puisque “tout crime doit être sanctionné, et ces
sanctions souvent c’est de l’argent”.
“C’est le sujet le plus casse gueule en histoire”, considère pour sa
part l’historien Pascal Blanchard. “Les historiens sont très mauvais sur
le sujet. Puisqu’il est question d’argent, qui va faire le tri pour
savoir qui va toucher quoi, comment le faire… Selon moi, la seule
réparation qui vaille c’est de remettre l’histoire à l’endroit, une
histoire au plus juste pour les enfants camerounais et français”.
Pour aller plus loin, La guerre du Cameroun, l’invention de la Françafrique, Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, octobre 2016 La Découverte.
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