Depuis plusieurs mois, un même débat
faisait rage, dans de nombreux pays africains. Au Burundi, au Burkina
Faso, au Bénin, au Congo, en République démocratique du Congo (RDC) et
au Rwanda pour ne citer qu’eux, la classe politique et les citoyens se
déchiraient sur une éventuelle révision de la constitution autorisant le
chef de l’État à briguer un nouveau mandat, ce que la loi fondamentale,
en l’état, lui interdit.
Les termes de la controverse ont
radicalement changé le 30 et le 31 octobre. Au Faso, la contestation
grandissante pour sauver la constitution et son article 37 – celui qui
empêchait le président Compaoré de rempiler après 27 ans de pouvoir –
s’est transformée en révolution. Un tournant politique qui sonne comme
un avertissement pour tous les chefs d’État de la région.
Les arguments favorables à une
révision constitutionnelle sont connus : stabilité du régime, paix et
sécurité, approfondissement de politiques déjà engagées, voire adhésion
de la population à la présidence en cours et à un changement de
constitution qui pourrait dit-on être confirmé par référendum. Qu’en
est-il des opinions inverses ? Voici les principaux arguments défendus
par ceux qui s’opposent à tout “tripatouillage électoral”.
1- Parce que tout a changé depuis la Burkina
La révolution burkinabè
annonce-t-elle des mouvements de contestation à venir dans les deux
Congo, au Burundi, au Rwanda? Difficile à dire bien sûr. Le contexte a
en tout cas radicalement changé depuis ces derniers jours d’octobre.
Dans les pays concernés, les responsables de l’opposition ne s’y sont
d’ailleurs pas trompés : “la leçon qu’il
faut tirer de cela c’est que les différents chefs d’État doivent
comprendre que plus rien ne sera comme auparavant. Et ceci doit être une
leçon qui doit être retenue pour chez nous aussi, où nous avons choisi
la lutte pacifique», a ainsi déclaré Vital Kamerhe, leader de l’Union
pour la nation congolaise (UNC) en RDC.
Certes, il y a plus de trois ans et
demi déjà, avait lieu les printemps arabes. L’inquiétude était alors
palpable dans certaines capitales africaines. Mais le Maghreb restait
lointain, et la dégradation des conditions sécuritaires qui s’est
installée depuis dans certains pays, devenait même pour certains chefs
d’État un argument pour revendiquer leur indispensable rôle dans le
maintien de la stabilité du continent.
Le cas burkinabè rebat
incontestablement les cartes. D’abord parce qu’il est plus proche et
repose exactement sur la même équation : toucher ou non à un article de
la constitution devenu le totem qui cristallise les revendications de
l’opposition. Ensuite, parce que le régime de Blaise Compaoré
ressemblait à s’y méprendre à certains cités plus haut.
Le parallèle le plus parlant étant
sans doute celui avec le Congo-Brazzaville. 27 ans de pouvoir pour le
« beau Blaise », près de 30 pour Denis Sassou Nguesso, aux commandes
depuis 1979 (malgré une interruption entre 1992 et 1997). Et une
stratégie commune : se rendre indispensable sur la scène internationale.
Un rôle de médiateur au Mali pour Compaoré, une médiation en
Centrafrique pour Sassou Nguesso, très impliqué dans la crise en cours à
Bangui.
2 – Pour permettre l’alternance
Les présidents Compaoré et Sassou Nguesso |
Faut-il empêcher un président qui
fait du bon travail de le poursuivre s’il est soutenu par sa
population ? Sans être absurde, l’argument reste au moins intrigant
pour ceux qui, comme Compaoré ou Denis Sassou Nguesso, ont passé
plusieurs dizaines d’années au pouvoir et ont eu tout le loisir de
mettre en œuvre les politiques qu’ils estimaient utiles à leurs pays.
Les cinq pays pourront aussi prendre
l’exemple du Sénégal avec son alternance pacifique entre Diouf et Wade
en 2000, puis l’élection de Macky Sall en 2012, qui ont montré les
vertus d’un changement à la tête de l’État pour assurer un
renouvellement des élites et des pratiques du pouvoir ; ou celui du du
Ghana où après deux mandats, le président Kufuor a cédé la place à son
successeur Atta-Mills en 2009.
3 – Pour respecter ses engagements nationaux et internationaux
Les opposants à tout changement
constitutionnel invoquent aussi le respect des engagements nationaux et
internationaux des gouvernants. Ainsi dans bien des pays, la
constitution envisage des possibilités de révision mais exclut
précisément tout changement qui concernerait la durée et le nombre de
mandats. C’est l’article 185 à Brazzaville ou le 220 à Kinshasa qui
précise que “ le nombre et la durée des mandats du Président de la
République (…) ne peuvent faire l'objet d'aucune révision
constitutionnelle.”
Pour la Conférence épiscopale de RDC,
qui ne cesse de réitérer son opposition à une révision
constitutionnelle, “cet article pose les bases de la stabilité du pays
et l’équilibre des pouvoirs dans les institutions. Le modifier serait
faire marche en arrière sur le chemin de la construction de notre
démocratie et compromettre gravement l’avenir harmonieux de la Nation”,
Sur le plan international, les cinq États cités ci-dessus ont également tous signé la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance
de 2007 qui condamne dans son article 23(5) : “Tout amendement ou toute
révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte
atteinte aux principes de l’alternance démocratique, "qui représenterait
un “changement anticonstitutionnel de gouvernement et passible de
sanctions appropriées de la part de l’Union”.
4 – Pour dépersonnaliser la loi
Rarement des constitutions auront
suscité autant de passions dans les capitales du continent, laissant une
drôle d’image d’une Afrique où tout débat constitutionnel apparaît
inextricablement lié à celui du maintien au pouvoir du chef, comme si
chose publique et chose privée étaient inévitablement mêlées. On ne
débat plus de la constitution pour de réelles raisons juridiques ou
sociales mais bien pour l’adapter à une situation individuelle d’un
président : la loi n’encadre pas l’exercice du pouvoir mais est
aménagée en fonction de lui.
En 1995, quand l’Assemblée nationale
ivoirienne obligeait tout candidat à la magistrature suprême à fournir
la preuve que ses deux parents sont effectivement nés en Côte d'Ivoire,
l’objectif ultime était de transformer en loi “le concept d’”ivoirité”
imaginé par le président Henri Konan Bédié afin de disqualifier son
principal rival Alassane Ouattara.
Quant au Congo-Brazzaville, l’article
58 de la constitution de 2002 interdit à tout candidat de plus de 70 ans
de se présenter à la présidentielle. Son adoption visait moins à
rajeunir la classe politique qu’à empêcher les concurrents de Sassou
Nguesso de l’époque, comme Pascal Lissouba, de se présenter. Un verrou
générationnel qui se retourne aujourd’hui contre celui qui l’a fixé
puisque c’est désormais Sassou lui-même qui a atteint la limite d’âge…
5 – Pour la stabilité institutionnelle
Barack Obama à Accra en juillet 2009 - © AP |
“L’Afrique n’a pas besoin d’hommes
forts mais d’institutions fortes”, affirmait Barack Obama en 2009 dans
son discours d’Accra, précisant que l’Histoire n’est pas du côté de
“ceux qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir”.
Une constitution comme toute
construction humaine n’a aucune de raison d’être immuable. Mais les
règles du jeu qu’elle instaure méritent au moins d’être éprouvées dans
la durée. La plupart des pays cités ont des constitutions récentes :
2006 pour la RDC, 2005 pour le Burundi, 2003 pour le Rwanda, 2002 pour
le Congo.
Entretenir l’instabilité
institutionnelle, c’est mettre à mal la confiance des citoyens à l’égard
de leurs dirigeants. Le Congo-Brazzaville est “le plus vaste cimetière
institutionnel de l’Afrique”, dénonçait
en 2001 l’universitaire Félix Bankounda. Depuis son indépendance en
1960, le pays a connu treize textes fondamentaux (six constitutions et
sept actes fondamentaux), dont huit sous la seule présidence de Sassou
Nguesso.
6 – Pour échapper à la caricature
Si la présidence à vie n’est pas l’apanage de l’Afrique, il n’en reste pas moins comme le note
le journaliste Tirthankar Shanda que “sur les 19 chefs d’État qui ont
accédé au pouvoir au siècle dernier et qui s’accrochent à leur place, 14
sont Africains !”. Après
le Burkina, la communauté internationale sera peut être – qui sait ? –
plus exigeante. La France avait prévenu à plusieurs reprises le
président Compaoré, semble insister l’Élysée depuis quelques jours.
Mais il faudra sans aucun doute des
concessions. Peut-on, défendre par exemple un ambigu statut d’immunité
qui garantirait une sécurité économique et judiciaire à des chefs d’Etat
qui, s’ils lâchent le pouvoir, redoutent la revanche de ceux qui l’ont
trop longtemps attendu ? Ou
offrir une (prestigieuse) porte de sortie aux présidents en place en
leur attribuant de nouvelles missions dans des institutions
internationales comme le proposait François Hollande à Compaoré dans un courrier du 7 octobre l’invitant à ne pas toucher à la constitution.
Ou même, si finalement maintien au
pouvoir il y a, négocier de réelles contreparties. Car la conclusion du
débat dépendra bien sûr de la situation bien particulière de chacun des
pays. Un responsable de l’opposition burundaise confiait ainsi il y a
quelques semaines qu’il avait “toutes les raisons de croire que Pierre
Nkurunziza serait toujours président après 2015”, compte tenu des
équilibres politiques de son pays. Mais il réclamait en échange “une
vraie négociation pour ouvrir le jeu politique alors qu’il est
complètement crispé. Pour cela nous aurons besoin d’un réel appui et de
toute la pression de la communauté internationale”. Ce serait le moins.