Cet article a paru initialement sur le site de l'Afrique des idées et est disponible
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L'écrivain congolais Alain Mabanckou |
Le grand public a découvert Alain Mabanckou il y a une dizaine d'années avec son truculent roman
Verre Cassé et
sa casquette vissée sur la tête. Depuis il est devenu une des voix
importantes de la littérature africaine et un emblème de la vitalité
culturelle du Congo-Brazzaville. Ce petit pays de quatre millions
d’habitants est, il est vrai, un terreau fertile pour l’écriture, que
l’on songe à Tchicaya U Tam’si ou Sony Labou Tansi dans le passé. Avec
son nouveau roman,
Petit Piment, aux éditions du Seuil, Alain
Mabanckou nous raconte avec délicatesse le parcours d’un enfant ballotté
par une société congolaise peu disposée à lui faire une place. Ce récit
initiatique prend aussi une dimension politique. L’auteur y interroge
la place de l’enfant dans le Congo socialiste des années 70 et dénonce
toutes les formes de crispations identitaires. Pour l’Afrique des idées,
Alain Mabanckou revient sur ce roman et sur ses inquiétudes quand à la
situation politique de son pays
Dans Petit Piment, vous reprenez un personnage récurrent dans
la littérature: l’orphelin, l’enfant des rues. Qu’est ce qui vous
intéresse dans cette figure ?
C’est un personnage qui me ressemble. Toute la vie il reste en quête
d’une famille. La question du père et de la mère est essentielle dans ce
livre. J’ai eu la chance de vivre mon enfance avec les deux, mais je
les ai perdus par la suite. Cela a créé un vide tel que mes trois
derniers livres posent cette question de l’orphelin, de l’absence et du
vol de l’enfance par les adultes. Parce que les adultes n’ont jamais
assumé le rôle qui était le leur durant l’enfance de cette jeunesse
africaine. Celle-ci est désormais perdue, sans repères, sans aucune
autre éducation que celle de la rue, de la loi du plus fort. Petit
Piment, c’est le prototype de l’enfant africain qui n’a pas eu la chance
d’avoir de vrais parents, une vraie éducation et qui désormais ne peut
compter que sur la force de son destin qu’il se forge lui-même en posant
des actes dans la vie quotidienne.
Le livre est d’ailleurs dédié à un enfant dont on se sait pas très
bien si il s’agît de vous ou d’un jeune homme que vous avez rencontré au
Congo.
C’est un mélange de tout ça. De moi et d’un personnage que j’ai
rencontré qui lui était déjà âgé mais qui voulait vraiment être un
personnage de roman car il estimait que la vie y serait meilleure que
dans le monde réel.
C’est aussi un roman politique sur le Congo socialiste. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
C’était l’endoctrinement, la tenue scolaire identique, les récitations
des discours du président de la République. Nous pensions que tout cela
était normal, que tous les enfants de la terre devaient aimer leur
président comme si il était leur père. Mais il fallait du recul pour
comprendre que nous étions dans un système du culte de la personnalité.
Et que ce culte de la personnalité a peut être fait plus de ravages que
la colonisation dans la mentalité des Africains, parce que ça nous a
donné le sens des intolérances, et poussé à considérer que dès qu’on a
le pouvoir c’est pour soi-même et pas pour le peuple. Ils voulaient nous
voler notre enfance et ils y ont réussi parce qu’on a créé des
perroquets, des béni oui oui, une jeunesse qui s’est endormie pendant
longtemps et qu’il faut réveiller le plus vite possible.
Deux femmes jouent un rôle central dans votre texte, une infirmière
dans l’orphelinat, et une mère maquerelle, qui prend Petit Piment sous
son aile. Que représentent-elles ?
L’infirmière est une forme de Mère Teresa, elle représente
l’adoucissement, l’épaule sur laquelle peuvent se reposer les enfants.
La deuxième femme Maman Fiat 500 est une prostituée et dirige dix filles
dans la prostitution. C’est l’exemple de la situation dans laquelle on
pense qu’il faut lui jeter la pierre mais en réalité, elle sert de lien,
prend sous sa protection les enfants des rues, les nourrit. Elle
incarne le prolongement de la maternité auprès d’enfants qui souffrent
de n’avoir jamais eu de mère. On peut juger la prostitution comme un tas
d’immondice, je voulais trouver à l’intérieur une pépite d’or et cette
pépite d’or, c’est Maman Fiat 500.
ll y a un autre personnage central dans ce livre comme dans vos deux
ouvrages précédents, c’est la ville de Pointe Noire, où vous avez
grandi au Congo. Comment décririez-vous cette ville aux lecteurs qui ne
la connaissent pas ?
Ça fait trois livres que je tourne vraiment autour de Pointe Noire. Je l’avais fait dans Demain j’aurai vingt ans, puis en 2013 dans Lumières de Pointe Noire, et maintenant dans Petit Piment.
C’est une sorte de trilogie. Cela rappelle le fait que nos mamans
préparaient en général la cuisine sur trois pierres sur lesquelles il y
avait la marmite, posée au dessus du feu. J’ai posé trois pierres, et la
marmite Pointe Noire est posée sur ces trois pierres. Moi j’ajoute le
feu pour faire bouillir quelque chose, remettre en bonne condition. Je
ne sais pas encore si il y aura une quatrième pierre et comment
j’arrangerai l’installation. Pointe Noire reste le personnage de tous
mes romans. Elle est le prototype de la ville africaine, côtière, avec
l’océan Atlantique, le chemin de fer Congo-Océan, un centre-ville très
européen, des quartiers populaires et une grande artère qui coupe la
ville en deux et qui s’appelle l’avenue de l’Indépendance, dans un pays
qui paradoxalement n’a pas l’air indépendant. Quand on a visité Pointe
Noire, on a visité beaucoup de capitales africaines.
La ville a aussi une dimension mystérieuse, difficile à appréhender au premier regard…
Pointe Noire a l’habitude de cacher son passé. Elle est tentaculaire et
ne se livre pas facilement. Quand vous arrivez, il faut traverser tout
le centre ville pour aller dans les quartiers populaires. Ce sont des
enchevêtrements qu’il faut connaître. Dans un quartier comme le Rex ou
le quartier Trois-Cents, si vous ne faites pas attention, vous vous
perdez dans les sinuosités. C’est une ville dont il faut découvrir les
mystères. Elle est comme une tortue. Dès qu’elle voit venir un étranger,
elle rentre sa tête dans sa carapace. Si l’étranger ne fait pas
attention, il va prendre la carapace pour une pierre et marcher dessus.
Dans Petit Piment, vous racontez aussi une opération pour
renvoyer les prostitués dans leur pays d’origine, le Zaïre. Ce thème
fait écho à une vague d'expulsions lancée par les autorités de
Brazzaville en 2014. Est-ce votre manière de la dénoncer ?
Quand j’écrivais le livre, j’ai lu avec exaspération la chasse aux
“Zairois”. Ca m’a révolté, indigné. J’ai trouvé aberrant que les
Congolais de Brazzaville chassent les Congolais de Kinshasa. Parce que
après tout, nous sommes un peuple avec la même culture, la même langue,
la même civilisation. Se chasser les uns les autres c’est faire le jeu
des anciennes puissances coloniales qui ont établi les frontières que
nous avons. Ca a été un choc de voir mon pays capable de faire ça. Si la
France faisait ce genre de choses, on dirait aussitôt que c’est une
politique d’extrême droite.
Stylistiquement, Petit Piment ne prend-il pas une forme plus
classique que vos précédents textes. Il semble davantage porté par le
récit et les personnages que par la truculence qu’on pouvait lire dans
Verre Cassé…
Chaque roman doit avoir sa texture. Le pire pour un écrivain c’est de
vouloir écrire le même roman, parce qu’on pense avoir trouvé la recette.
Il faut se laisser porter par la voix des personnages. Dans Petit Piment,
il y a plusieurs voix. La voix de la description, car il faut bien
expliquer l’itinéraire de quelqu’un, son destin. Puis dans une deuxième
partie, il y a une autre voix, quand le personnage arrive dans les
quartiers populaires et commence à perdre la raison. Là on retrouve
l’absurde et des situations cocasses qui rappellent des romans que
j’avais écrit avant. Je laisse toujours marcher les personnages. Il y a
toujours une route même si dans Petit Piment, elle est peut être en train de se transformer en impasse.
En parlant d’impasse, vous vous êtes exprimé publiquement sur la
situation politique de votre pays pour demander à votre président de ne
pas s’accrocher au pouvoir. C’est une des premières fois que vous prenez
position aussi clairement. Pourquoi maintenant ?
Parce que j’ai senti un appel du peuple congolais et de la jeunesse.
Avant c’était juste quelques personnes de la diaspora qui voulaient ma
voix. Mais je ne parle jamais au nom des intérêts de quelques individus.
Et je ne suis pas candidat à quoi que ce soit. Je ne parle qu’en tant
qu'écrivain et en tant que Congolais. Si on devient comme l'ambassadeur
de son pays à l'étranger, il faut le faire quand vous sentez que les
fondements de la nation sont en train de trébucher. Dans l'intérêt du
Congo-Brazzaville, le président Denis Sassou Nguesso ne doit pas se
représenter pour un autre mandat. Je pense qu'il faut qu'il favorise une
transition vers une nouvelle génération. Mais l'opposition congolaise
est l'opposition la plus bête au monde, je m'excuse de le dire, parce
que elle ne sait pas ce qu'elle veut, elle vit aux dépens du
gouvernement donc sa parole n'est pas forcément légitime. En disant au
président Sassou Nguesso de ne pas se présenter, je ne donne pas un
chèque en blanc à cette mauvaise opposition pour qu’elle aille squatter
le pouvoir. Je voudrais que mon pays puisse trouver les moyens de porter
au pouvoir une nouvelle génération qui n'a jamais été corrompue par le
système.
Mais que faire aujourd’hui. Si on ne passe pas par l’opposition, par qui passer ?
L'opposition a pris en otage la jeunesse congolaise. Elle a menti, elle
a fait croire que son heure était venue de gouverner. Ils ont emmené
les jeunes dans la rue, et quand ça a commencé à crépiter l'opposition
s'est cachée et a laissé la jeunesse congolaise sous les balles.
L'opposition est complice du manque de transition au Congo-Brazzaville,
elle est peut être pitoyable dans ce sens là. Si il y a une élection
présidentielle je m'exprimerai. Si on arrive encore à imposer aux
Congolais par la peur, par les armes, un régime dictatorial qui va
encore prendre des années, le monde entier prendra date. Mais chaque
chose a une fin, nul n'est immortel sur cette terre, vous pouvez
gouverner comme vous voulez mais à un moment donné l'âge naturel va vous
faire défaut.
Le président Sassou Nguesso a-t-il fait du mal à votre pays ?
Je ne juge pas le président Sassou Nguesso mais dans son intérêt je
pense qu'il devrait prendre la posture du sage et pousser à la
transition. Il y a des choses qui se sont faites dans ce pays, on ne
peut pas le nier. Mais après trente ans, il y a quand même la fatigue et
l’usure du pouvoir. Ce n'est plus le président qui gouverne mais c'est
un clan qui profite. Trente ans au pouvoir, c'est trente ans de
privilèges, d'entourage, d'un clan qui est en train de manger ce que le
peuple aurait pu manger. Je crois que le changement de la constitution a
été fait pour le maintenir au pouvoir. Aujourd'hui je peux vous parier
vu le larbinisme de l'opposition que nous aurons Sassou Nguesso qui va
rempiler pour deux mandats.
Certains Africains vous reprochent de plaire davantage aux lecteurs
blancs et de ne pas être lu en Afrique. Cette critique vous
touche-t-elle ?
Cela ne m’affecte pas car 99,9% des gens qui le disent ne m’ont jamais
lu. Ca vient souvent de la diaspora, des gens qui sont coupés des
réalités africaines. Est-ce qu’ils savent que je suis au programme dans
les collèges et les lycées au Bénin ? Que je suis étudié dans les
universités africaines ? Ou que les Ponténégrins se disputent Lumières de Pointe Noire…
Dire qu’on écrit pour les blancs, c’est idiot, c’est une forme de
fondamentalisme et d’intégrisme. Cela vient de gens qui veulent tout
expliquer par la couleur de peau. C’est hors de ma conception. Je n’aime
pas expliquer mon existence parce que je suis noir ou parce que mon
peuple a subi l’esclavage ou la colonisation. J’explique mon existence
par les actes que je pose au présent en évitant de commettre les mêmes
erreurs que dans le passé. Je suis noir, j’en suis fier. Je suis
Africain, je ne l’oublie jamais. Mais je suis aussi quelqu’un qui vit
avec les autres et la place et la vie des autres m’intéressent. Je
voudrais être un écrivain qui sans cesse est en train d’ouvrir les
portes et les fenêtres et non les fermer. Ceux qui veulent entrer dans
ma maison, ils sont les bienvenus, ceux qui veulent entrer dans les
maisons où ils s’enferment à clé, tant pis pour eux, le monde continuera
avec ceux qui ont l’art d’ouvrir les fenêtres.