Idriss Déby, Ali Bongo et Denis Sassou Nguesso |
Le vent des alternances qui souffle en Afrique de l’Ouest, du Burkina
au Bénin, n’a donc pas atteint l’Afrique Centrale, protégée semble-t-il
par un drôle de microclimat. Bien sûr la région n’a pas le monopole du
pouvoir autoritaire et du trucage électoral et les pays qui la composent
ont leurs dynamiques propres. Mais de la Guinée équatoriale d’Obiang
Nguema au Congo de Sassou Nguesso, en passant par le Gabon d’Ali Bongo
et le Cameroun de Paul Biya, les similitudes sont troublantes jusqu’à
faire de l’Afrique centrale “le cœur des ténèbres de la démocratie”,
selon Achille Mbembé ?
Filles et fils de
D’abord, le pouvoir reste une affaire de famille et de clan. Les
“filles et fils de” sont vice-président (en Guinée équatoriale), députés
(au Congo), responsable du secteur pétrolier (encore au Congo), ou
encore président comme en RDC ou au Gabon où Ali a succédé à son père Omar Bongo
en 2009.
La présidentielle gabonaise version 2016 est un cas d’école avec un
duel entre le sortant Ali Bongo et son ex-beau-frère, Jean Ping, ancien compagnon de Pascaline Bongo et qui fut également plusieurs années ministre
d’Etat, sous le règne de Bongo père. Avec pour compliquer le tout, des
relations familiales parfois transfrontalières, comme entre le Congo et
le Gabon où Omar Bongo, avait pour épouse Edith Sassou Nguesso, la fille
du président congolais.
37 ans en Guinée équatoriale comme en Angola, 33 au Cameroun, 32 au
Congo-Brazza, les chefs d’Etat se livrent en outre à un véritable
concours de longévité au pouvoir. Sur ce point, il faut l’admettre
l’Afrique centrale n’est pas seule. Songez à Yoweri Museveni en Ouganda
(30 ans), Robert Mugabe au Zimbabwe (28 ans, si l’on ne compte pas ses
années à la primature) et Omar el-Béchir au Soudan (27).
La classe politique et la société civile y sont aussi extrêmement
fragmentées et fragilisées par la force centrifuge du chef de l’Etat et
de ses richesses. Le philosophe
Achille Mbembe dénonce ainsi “des systèmes de chefferie, où on règne sur
des captifs ou au mieux sur des clients” et “une captation des élites
dans une économie du désir et de la parure”.
Rentes et corruption
Autre critère fondamental, la plupart de ces régimes fonctionnent grâce
à l’exploitation des ressources naturelles, notamment pétrolières, avec
une économie peu diversifiée et un système de rentes, favorable à la
corruption et à la confiscation des richesses.
L’exploitation du pétrole est au cœur de l’économie du Gabon, du
Congo-Brazzaville et de la Guinée équatoriale, déstabilisés d’ailleurs
par la chute des cours ces derniers mois.
Et ce sont ces mêmes trois pays qui sont les premiers visés par la
fameuse affaire des biens mal acquis où des ONG accusent des chefs
d’Etat et leur entourage d’avoir détourné de l’argent public pour
acquérir de luxueux biens privés.
“C’est une région où la corruption et la vilénie ont atteint des
proportions transnationales, dans la mesure où ce sont des régimes
soutenus par des forces économiques internationales et des acteurs
politiques transcontinentaux”, déplore encore Achille Mbembe.
Malgré la présence de ces entreprises multinationales, l’intellectuel
camerounais insiste sur le relatif isolement des populations d’Afrique
Centrale, où “les pays sont les plus enclavés de la sous-région. En
Afrique de l’Ouest, vous voyagez avec votre carte d’identité du Sénégal
au Bénin. En Afrique Centrale, on ne peut pas circuler librement”. De
quoi être à l’écart des dynamiques politiques et intellectuelles en
cours sur le continent.
Dans la pratique, le Cameroun a bien été à l’initiative d’un passeport biométrique CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale)
en 2014 censé permettre de se déplacer d’un pays à l’autre sans visa,
mais encore faut-il que les services d’immigration soient à la page.
La région reste en marge des grands carrefours de circulation du
continent, avec un taux de bitumage des routes encore très faibles et
pour ce qui est des lignes aériennes internationales, dans le cas de
Libreville (Gabon) et Brazzaville (Congo), une polarisation vers
l’ancienne puissance coloniale, la France. Pour ces deux pays, la
question de la relation ambigüe avec la France tient encore une place
centrale dans la vie politique, avec des nuances toutefois.
Au Gabon, la passation de pouvoir d’Omar à Ali Bongo en 2009, a amené
une forme de rééquilibrage des relations et tourné en partie la page
d’une “Françafrique” dont Omar Bongo était un des piliers. Avec quelques soubresauts malgré tout. En contestant
sa défaite, l’opposant Jean Ping en appelle à la France, en regrettant
une forme de “non-assistance à peuple en danger”, comme si
inévitablement, le rôle d’arbitre revenait à Paris.
Au Congo, Denis Sassou Nguesso, arrivé au pouvoir en 1979, reste lui un
héritier de ces relations incestueuses franco-africaines où se mêlent
diplomatie classique et réseaux d’influence parallèles. En témoigne l’embarras de l’Elysée au moment du référendum organisé dans le pays pour permettre au président de se représenter à un nouveau mandat.
Vers une recomposition politique ?
Faut-il pour autant résumer ces pays à des pétro-Etats dynastiques
condamnés à échapper à la démocratie ? En se focalisant sur le scrutin
présidentiel, le risque est de passer à côté des mouvements à l’œuvre au
sein des différentes sociétés.
Malgré la crise gabonaise, un historien comme Jean-Pierre Bat soutient
qu’une recomposition politique est bien en cours dans le pays depuis
2009. L’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo coïncide selon lui avec une série
de ruptures sur le plan diplomatique mais aussi intérieur avec une
fragmentation du clan Bongo et de l’autre côté une opposition mieux
organisée qui est parvenue à s’accorder sur une candidature unique en la
personne de Jean Ping.
A Libreville, si certains médias gabonais ont été attaqués ou incendiés
pendant la crise, les journalistes étrangers sur place ont plutôt
reconnu qu’ils pouvaient quant à eux travailler sans difficulté et
“couvrir les violences de façon libre”.
“Ce qui me surprend le plus au Gabon, c’est la permissivité dont les
forces de sécurité font preuve à mon égard. Savoir jusqu’où l’on peut
faire son travail de journaliste sans être inquiété est souvent un bon
baromètre du degré de démocratie dans un pays”, raconte ainsi le photographe de l’Agence France Presse (AFP) Marco Longari.
A l’inverse, au Congo-Brazzaville, les trois journalistes du quotidien
Le Monde et de l’AFP qui s’étaient risqués à interroger le principal
candidat de l’opposition, Jean-Marie Michel Mokoko, après la
présidentielle, avaient aussitôt été agressés et dépouillés de leur
matériel par des hommes se présentant comme des policiers.
Au Cameroun, au-delà de la longévité au pouvoir de Paul Biya, on
pourrait souligner la plus grande diversification de l’économie ou les
progrès faits en matière agricole. Il faut aussi mettre en évidence l’ébullition politique et sociale dans
les rues, avec la manifestation inédite d’octobre 2015 à Brazzaville,
où les événements de 19 et 20 septembre à Kinshasa, dans la RDC voisine,
réprimés par le pouvoir en place.
Il n’en reste pas moins que l’Afrique Centrale reste orpheline des
changements politiques majeurs qui ont en partie changé la donne sur le
continent ces derniers mois. “Cela prendra un moment, il faut qu’une
dynamique s’enclenche”, analyse Achille Mbembe. “S’il y avait eu
alternance au Gabon, cela aurait eu des répercussions inéluctables sur
l’ensemble de la sous-région”, conclut-il.
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