La littérature a une grande place dans culture congolaise. Elle reste d’ailleurs un marqueur de prestige social fort, et plusieurs responsables politiques actuels sont écrivains, entre autres : Henri Lopes, l’Ambassadeur du Congo en France ou Henri Djombo ministre du développement durable et de l’économie forestière.
La littérature congolaise a franchi les frontières depuis bien longtemps. Aujourd’hui, une de ses figures de proue est incontestablement l’écrivain Alain Mabanckou, qui vient de sortir Demain j’aurai vingt ans chez Gallimard et qui a reçu le prix Renaudot pour Mémoires de porc-épic en 2006.
Présentation de quelques figures de la littérature contemporaine congolaise
Sony Labou Tansi
Sony Labou Tansi a marqué l’histoire culturelle du Congo des années 70-80 avec ses romans, pièces de théâtre et poèmes. Aujourd’hui, un des rares lieux culturels de la ville, avec le CCF, porte son nom : le Cercle Sony Labou Tansi, où répètent les troupes de danse et de théâtre. En avertissement de son roman-phare La vie et demie (1979), Sony Labou Tansi explique le sens de sa démarche littéraire : « Des amis m’ont dit : « je ne saurai jamais pourquoi j’écris ». Moi par contre je sais : j’écris pour qu’il fasse peur en moi. Et, comme dit Ionesco, je n’enseigne pas, j’invente. J’invente un poste de peur en ce vaste monde qui fout le camp. «
Outre La vie et demie, qui raconte dans un délire verbal la folie d’un tyran sanguinaire, le guide providentiel de Katalamasie, plusieurs textes dont sa correspondance sont très intéressants. Dans ses lettres, on retrouve toute l’inventivité du personnage, son goût d’être bringuebalé par les mots jusqu’à l’absurde et au vertige. C'est aussi toute l'ambiance du Congo des années 70 qui transparaît :
« Lettre à Françoise Ligier
Sony Labou Tansi
Congo
21 décembre 1973
La vie au fond, si c’est Dieu qui la donne, il devrait savoir à qui il la donne ; pour ne pas en donner un de très « cochon » à certains. Mon vertige, c’est celui là, Françoise. Même si cela ne devait durer que 24 heures, tant que ce n’est pas « cochon », tant que ce n’est pas mammifère, ça fait éternité. Le besoin de grandir. D’écraser jusqu’à s’écraser si nécessaire. Le système disions-nous. C’est peut être plus facile à rejeter qu’à accepter. Non, ce que je réfute de lui, c’est l’ « homme perdu comme une pièce de cinquante centimes ». Ça serait con d’être anti-système seulement. Du facile comme bonjour. Tu me demandes s’il n’y a jamais eu un temps de mon système. C’est dangereux mais je crois qu’il vient ce temps là. Et puis mon Dieu « de précaution en précaution, on devient un jeune homme bien élevé ». Je n’ai pas le temps de prendre des précautions. Je sais que je ne suis pas comestible. C’est rassurant. Autrement bien sûr fallait « rogner ». Mais une fois qu’on est sûr qu’on n’est pas comestible, on refuse de cochonner. Manque de temps. Et puis nom de Dieu, le système c’est la mode, il y a toujours plus que la mode. Bon. Ça m’agace un peu. La gueule philosophique. A quoi bon ? Et puis il y a pas mal de trucs que je ne saisis pas dans ta lettre. Qu’est ce que c’est la Smala ? Qu’est ce que c’est la vieille montre qui se démonte ? Tu sais, j’ai horreur de réfléchir sur les choses. Sentir ! Et puis découvrir. La mathématique, non. Double-décimètre à la poubelle. Grandir jusqu’à ne plus être à la mesure. Quand on raisonne, on se découvre à l’échelle 1/1 000 000. Et on devient invisible. Or, j’ai appris à me passer d’invisibilité. Je vrombis sans doute trop. Qu’est ce que c’est « être sexiste » ? j’avoue ne pas piger. Et puis, c’est difficile de dire des trucs sans qu’on les remette en cause. Ce que je pense aujourd’hui, avec l’expérience. On ne sait jamais. Tu persistes à croire que Dieu, c’est un cadeau piégé ? du moins quand on l’associe à nos décisions ! Comment peut-on refuser ce chemin du retour de l’Homme à l’Homme. Cette légitime (et le mot est très faible) soif d’exploser en infini, de grandir sans entrainement, sans apprentissage, sans éducation, cette sortie de l’animal. Evidemment, il y a les légendes qui embrouillent tout.
Le général Mobutu. Encore un général. Le seul président africain que j’ai failli prendre au sérieux ; tu sais ? Le mecton du Zaïre. Il vient de faire son numéro général : d’horloge parlante : il prend le pays pour un coin de son sexe. Paraît qu’on est qualifié pour la Coupe du Monde de football. Et pour fêter l’événement il distribue aux joueurs, des voitures (24) des maisons (24) des séjours à l’étranger à volonté et en famille (24). Et puis on chante ça à la voix du Zaïre. L’autre Général, Bokassa, qui a eu un fils le 2 novembre dernier, a poussé l’authenticité à lui donner dix-neuf noms et le 3 Nov était journée chômée payée en Rép. Centrafricaine. C’est pas des arabes ces généraux-là. C’est des Noirs, tout noirs. Chacun a son morceau de système. Il paraîtrait (confidentiel) que le président de la Rép Pop et son second en force (Yombi Opangault) se sont battus dans la rue à B/ville. Toujours du système, mais cette fois avec de la sauce africaine. Un président bagarreur de rue, tu ne peux pas deviner ce que c’est encombrant. Et il va planter des slogans à la radio tous les jours. Nous avons de quoi ne pas s’ennuyer. On le dit. Et puisque ce n’est pas nouveau. Très amicalement.Sony Labou Tansi »
Emmanuel Dongala
Emmanuel Dongala fait également partie des auteurs congolais incontournables. Son roman le plus connu est Johnny Chien Méchant (2002), récemment porté à l’écran. Dans un style assez classique, il y raconte avec force la guerre au Congo en adoptant deux points de vue, celui d’un soldat, et celui d’un enfant, victime.
On peut citer également son recueil de nouvelles Jazz et vin de palme (1982), particulièrement savoureux. Avec un humour grinçant il évoque le hiatus entre le discours marxisant et la vie quotidienne congolaise dans les années 70-80. Il mêle aussi les influences avec des nouvelles sur New York, John Coltrane…
« Jazz et vin de palme », la nouvelle titre raconte une soudaine invasion extraterrestre dans le bassin du Congo, et la réaction de la communauté internationale :
« Les Etats-Unis proposèrent ce qu’ils appellent « saturation bombing », le système de tapis de bombe qu’ils avaient essayé en Allemagne, en particulier à Dresde, et perfectionné au Vietnam, et tant pis si dans le processus quelques indigènes y laissaient leur peau ; après tout, non seulement la Terre continuait à tourner malgré le massacre de dizaine de milliers d’Indiens, mais l’Amérique était devenue la première puissance mondiale. Les Russes au contraire étaient pour la bonne vieille méthode d’une intervention massive de chars et de véhicules blindés qui avait si bien réussi en Hongrie, en Tchécoslovaquie et en Afghanistan. La Chine vu la gravité de la situation proposait de faire déferler dans la Cuvette congolaise des millions d’hommes, on pouvait en tuer quelques millions, il en resterait toujours suffisamment pour vaincre les envahisseurs qui après tout n’étaient que des tigres de papier. Cuba, appuyé par le Vietnam et la Corée du Nord, proposa d’employer la méthode de la guérilla : si l’envahisseur avance, nous reculons, si il recule, nous avançons, ainsi nous jugerons de ses forces et de ses faiblesses. L’Afrique du Sud, elle, proposa tout simplement de construire des barbelés, une sorte de ligne Verwoerd autour du lieu de contamination et suggéra de placer le long de cette ligne des soldats de pure race ; et pendant qu’on y était, on ferait bien de parquer dans cette zone contaminée tous les Noirs, tous les Arabes, tous les Chinois, tous les Indiens d’Amérique et d’Asie, tous les Papous, tous les Malais, tous les Esquimaux… »
Alain Mabanckou
On ne présente plus Alain Mabanckou (et sa casquette) en France où il connaît un grand succès.
Son roman Verre Cassé (2005) reste sans doute son meilleur livre à ce jour. Il y raconte, avec humour et tendresse, le quotidien des habitués du café le Crédit a voyagé, avec son lot de marginaux, de gueules cassés, de scènes cocasses ou tragiques. Mabanckou a sorti tout récemment un nouveau livre très autobiographique : Demain j’aurai vingt ans (2010), qui raconte la jeunesse d’un enfant de Pointe Noire dans les années 70-80. Malgré l’intérêt de retrouver l’ambiance de cette époque, le livre s’essouffle un peu, et la voix naïve du jeune Michel sonne assez faux. Il y a malgré tout quelques épisodes émouvants ou drôles:
« Le soir, papa Roger se branche sur la Voix de l’Amérique, une radio qui donne les informations en français depuis l’Amérique (…)
Il y a un journaliste de la Voix de l’Amérique que papa Roger aime bien et qui s’appelle Roger-Guy Folly. A table il nous parle plus que de cet homme. Est-ce que c’est parce que le journaliste en question se prénomme Roger comme lui ? Quand mon père prononce son nom, on dirait que c’est son propre frère qui parle. Roger-Guy Folly par ci, Roger-Guy Folly par là. (…)
Ce soir, Roger Guy Folly nous parle d’une ville qui s’appelle Phnom Penh, la capitale du Cambodge. Phnom Penh c’est un nom trop compliqué à prononcer. L’écrire c’est très compliqué aussi, mais une fois qu’on l’a écrit ça devient facile comme de l’eau à boire. Sinon comment les Cambodgiens ils font pour l’écrire et le prononcer chaque fois alors qu’ils sont des êtres humains comme nous ?
Or maman Pauline n’arrive toujours pas à prononcer Phnom Penh.
Papa Roger lui dit :
- Pauline, c’est pourtant très simple : pour prononcer Phnom Penh, tu contractes ta bouche, tu souffles en bloquant de l’air comme pour siffler, et tu ouvres brusquement ta bouche comme lorsqu’on est étonné devant une situation très grave, ce qui est justement le cas au Cambodge ! »
Wilfried N’sondé
Wilfried est N’sondé est venu tard à la littérature. Arrivé en France enfant, il a beaucoup voyagé dans sa jeunesse puis s’est installé à Berlin pour monter un groupe d’Afropunk, les Wild Congo, avec son frère. Son premier roman Le cœur des enfants léopards paru en 2007 est plutôt réussi. Le narrateur coincé en garde à vue, et maltraité par les policiers laisse son esprit divaguer entre les souvenirs de galères de jeunesse en banlieue parisienne, ses amours adolescents, et les paroles de ses ancêtres comme celles-ci:
« N’oublie pas l’histoire, d’où tu viens, rappelle toi toujours la brousse, la jungle, les léopards, nos esprits qui appellent et agissent jusqu’au-delà des chaînes de la servilité. Ils sont grands puisqu’ils ont vaincu la mort.
Sache que les léopards furent les maîtres du pays, longtemps avant nous, d’abord ils nous ont chassé sans pitié puis un jour….Nul ne sait plus vraiment. Mon fils, laisse la logique dans ton costume et tes chaussures bien cirées. On ne peut l’expliquer plus exactement ni ici ni ailleurs, mais une chose est sûre, l’on retrouva certains d’entre nous dans la brousse et la jungle. D’autres perchés au plus haut d’arbres centenaires, tous nourris à la mamelle des fauves protecteurs, le regard franc et doux, caressés par leurs pattes de velours et de mort. C’est alors qu’a commencé notre histoire, le pays Kongo. »
Bien sûr, on pourrait citer de nombreux autres auteurs comme le poète Tchicaya U Tam’Si, considéré par beaucoup d’écrivains comme un des pères fondateurs de la littérature contemporaine congolaise, Jean Batiste Tati Loutard, et bien d’autres encore…
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