Article publié initialement sur Terangeweb et consultable ici
Les présidents des deux Congo sont confrontés au même problème :
leurs Constitutions respectives les empêchent de briguer un nouveau
mandat. Mais ils ne sont pas tout à fait dans la même situation.
Ironie du sort, Denis Sassou Nguesso et Joseph Kabila, à qui on a
régulièrement prêté des différends sont confrontés exactement au même
problème en ce début d’année 2015. Et il se résume à chaque fois à des
numéros: 57, 58 et 185 au Congo Brazzaville, 70 et 220 en RDC, les articles
constitutionnels qui les empêchent de briguer un troisième mandat à la
tête de leur pays. Si la loi fondamentale reste en l’état et si ils la
respectent, Sassou Nguesso, tout comme Kabila auront quitté le pouvoir
fin 2016.
Après le précédent burkinabè, le débat fait donc rage à Brazzaville
comme à Kinshasa, les deux capitales les plus proches du monde –
séparées seulement par le fleuve Congo, franchi en sept minutes de canot
rapide, avant d’affronter les formalités administratives qui dureront
elles beaucoup plus longtemps, quelle que soit la rive où l’on accoste.
À Brazzaville, le sujet est officiellement sur la table depuis le 31
décembre et l’appel du principal mouvement de la majorité, le Parti
congolais du travail (PCT), à la rédaction d’une nouvelle Constitution,
plus adaptée à la situation du pays. L’ancien texte serait dépassé
estime le parti du président Sassou, car rédigé en 2002 dans une période
post-conflit, après la sanglante guerre civile qu’a connu le pays.
Bien sûr cette nouvelle Constitution n’a rien à voir avec l’éventualité
d’une énième candidature du président Sassou, assure le PCT… Pourtant,
l’opposition et quelques rares dissidents de la majorité y voient une
simple manœuvre pour justifier un « coup d’État constitutionnel »,
assurant le maintien au pouvoir du chef. Denis Sassou Nguesso a quant à
lui sobrement jugé sain et démocratique un tel débat constitutionnel
dans son message de vœux à la Nation.
À Kinshasa, le débat a pris un tour nouveau depuis les violences
survenues entre le 19 et le 22 janvier dans la capitale et à Goma à
l’est du pays. À l’origine de ces affrontements, dont le bilan est
estimé par les ONG à plus de quarante morts, un projet de loi électorale
qui a mis le feu aux poudres. En effet, un article particulièrement
controversé qui réclamait un recensement avant les prochaines élections, laissait craindre un report de la présidentielle,
ce qui n’était pas tout à fait du goût de l’opposition.
Celle-ci dénonçait, là encore, une tentative du président Kabila
de s’accrocher au pouvoir. Face à la contestation populaire, l’article a
finalement été retiré.
Preuve qu’à Kin’, comme à Brazza, la question constitutionnelle est
sensible, même si en RDC ni le parti majoritaire (le PPRD), ni le
président n’ont officiellement pris position dans le débat
Deux situations bien différentes
Les deux chefs d’État sont donc face au même défi, ils restent néanmoins
dans des situations bien différentes, autant liées à la nature de leurs
pays qu’à l' histoire politique de chacun d'entre eux.
Il y a d’abord un géant face à un petit poucet. La RDC, est l'un des plus grands pays d'Afrique (cinq fois la taille de la France...) et figurent parmi les plus peuplés, avec ses 80
millions d’habitants.
Plusieurs parties du territoire échappent encore au
contrôle des autorités à l’est du pays et dans le nord de la province du
Katanga. Maï Maï, ADF Nalu, ou anciens rebelles hutus rwandais FDLR…
les difficultés avec les groupes armés sont loin d’être réglées dans les
Kivus.
Par contraste, le Congo-Brazza et ses quatre millions d’âmes,
fait figure de petit pays tranquille. Et Brazzaville de village paisible
qui dévisage avec inquiétude la « Gotham City » Kinshasa aux grandes
tours défraichies. Le calme, la paix, après la guerre civile de 1997 qui
a marqué les esprits sont d’ailleurs les arguments volontiers convoqués
par le camp du président Sassou pour appeler à son maintien au pouvoir.
Sassou et Kabila, c’est aussi deux personnalités et deux situations politiques très différentes. À 43 ans, Joseph Kabila reste un chef d’État énigmatique et discret,
assez malicieux certainement pour avoir échappé, depuis 2001 et
l’assassinat de son père, aux chausses trappe inhérentes à l’exercice du
pouvoir en RDC. Il reste toutefois très difficile de mesurer la nature
et l’étendue de son autorité quand les richesses du sous-sol de son pays
et le désordre qui y règne renforcent sans cesse les convoitises et les
rivalités.
Sur le plan intérieur, Kabila dispose de concurrents reconnus comme
Etienne Tshisekedi, le leader de l’UDPS apprécié notamment à Kinshasa et
qui revendique depuis 2011 sa victoire aux dernières élections
présidentielles. Dans la majorité même, des concurrents s’affirment et
affichent leur opposition à la révision constitutionnelle. Depuis
quelques semaines, le charismatique gouverneur du Katanga, Moise
Katumbi, connu pour les succès continentaux de son équipe de football le Tout
Puissant Mazembe, fait ainsi parler de lui en rejetant implicitement une
nouvelle candidature de Kabila. Et il n’est pas le seul au sein de la
majorité à prendre ses distances.
À 71 ans, Denis Sassou Nguesso est lui un animal politique plus
expérimenté. Il a déjà plus de trente ans de pratique du pouvoir
derrière lui, malgré la parenthèse de la présidence Lissouba entre 1992
et 1997 avant son retour par les armes. Le président a habilement
fragilisé les partis d’opposition historique comme l’UPADS, celui de
l’ancien président Lissouba, ou le MCDDI, celui de feu Bernard Kolélas,
autre rival des années 1990, en attirant ses adversaires dans son
giron grâce, disent ses détracteurs, à l’attraction qu’exercent les
richesses pétrolières du pays. Au sein de l’opposition, on serait ainsi
bien en peine de distinguer des figures fédératrices et reconnues par la
population. Des opposants minoritaires existent bel et bien mais ils
ont du mal à se faire entendre dans un paysage médiatique sous contrôle.
Quant à la majorité, à l’image du PCT, héritier des années socialistes
au Congo, elle reste à l’unisson avec son chef, même si quelques
dissonances notables apparaissent ces dernières semaines par les voix
d’anciens ministres comme André Okombi Salissa ou Charles Zacharie Bowao
ou même d’un membre du gouvernement actuel Guy Parfait Kolélas (fils de
Bernard…), opposées au changement constitutionnel.
Par contraste avec un Kabila bien discret sur la
scène diplomatique, Sassou Nguesso fait aussi parler son expérience à
l'international avec la confiance de ses
partenaires. Il est par exemple le médiateur dans la crise
centrafricaine.
Un même défi donc et des situations différentes pour les présidents
Kabila et Sassou. Mais ces réalités dans toute leur complexité ne
permettent évidemment pas d’annoncer quels seront les prochains épisodes
pour l’un ou l’autre de ces chefs d’Etat congolais. Qui aurait pu
prédire qu'au Burkina Faso, une révolution populaire allait contraindre
Blaise Comparé à quitter le pouvoir après 27 ans à la tête du pays ?
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