mardi 10 décembre 2013

La France est-elle en train de louper le boom économique africain ?

Prélude au sommet Afrique-France à Paris, une conférence économique a rassemblé 500 décideurs africains et français mercredi dernier. La France craint de laisser passer sa chance sur le continent.

Les dirigeants des pays africains étaient vendredi et samedi à Paris pour le sommet Afrique-France. Outre les questions sécuritaires liées à l'intervention militaire en Centrafrique, le développement des échanges économiques était au cœur des débats. « La France n'a pas pris la mesure du nouveau contexte africain », vient d'écrire l'ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, dans un rapport rendu mercredi, pour accompagner l'organisation d'une grande conférence économique entre décideurs africains et français. Quand bien même les exportations continuent à augmenter quantitativement, les parts de marché françaises se réduisent. Elles sont passées de 10% à 4,7% en dix ans, quand celles de la Chine augmentaient vertigineusement. 

L'Afrique subsaharienne a un fort potentiel, comme le révèlent les prévisions internationales. La croissance du PIB, de 5 % en moyenne ces dix dernières années, pourrait flirter avec les 10 % dans les années à venir. Présente historiquement, la France reste un acteur influent : le premier investisseur en Afrique en termes de stock. Chez les entrepreneurs, on veut donc relativiser le recul français. Emmanuel de Dinechin, dirige Altai, un cabinet qui conseille, entre autres, les opérateurs de téléphonie en Afrique. Pour lui, c'est plutôt du côté des politiques qu'on a raté le coche. « Les entreprises françaises n'ont pas délaissé l'Afrique. Au contraire, elles ont senti tôt ce qui se passait. Le problème c'est le retard de la diplomatie. On l'a vu récemment avec la fermeture d'un centre culturel français à Lagos au Nigéria, un des pays pourtant parmi les plus prospères. La baisse de nos parts de marché illustre surtout une bataille économique beaucoup plus féroce, dans le bon sens du terme. Tout le monde a une chance et cette nouvelle donne peut profiter aux consommateurs ou aux entrepreneurs africains ce qui n'était pas le cas avant.» 

Les PME et les banques à la traîne 

Le rapport Védrine appelle les entreprises françaises à se tourner vers les pays les plus dynamiques - le Ghana, le Kenya ou le Nigéria - et plus seulement vers les pays francophones, moins florissants, mais où les entreprises françaises sont beaucoup plus implantées pour des raisons historiques. Les grands groupes comme l'exploitant pétrolier Total ou le transporteur Bolloré ont déjà entamé ce virage. Ce sont surtout les entreprises de taille moyenne qui manquent à l'appel, « parce qu'elles exagèrent le risque financier et méconnaissent le continent » estime Jean-Michel Severino, ancien directeur de l'AFD, et corédacteur du rapport « Afrique-France, un partenariat pour l'avenir », avec Hubert Védrine. Un désintérêt dommageable, car ces entreprises pourraient prendre position sur des marchés en plein essor comme les nouvelles technologies ou les biens d'équipement. Le rapport décrit aussi l'émergence d'une classe moyenne africaine particulièrement attractive : entre 300 et 500 millions de personnes avec un pouvoir d'achat de plusieurs centaines de milliards d'euros. 

Motif de grandes inquiétudes côté français, la faible dynamique du secteur bancaire. « Les banques commerciales françaises sont très en repli » déplore Jean-Michel Severino. « Elles ont cédé des parts de marché considérables aux banques marocaines comme Attijariwafa ou aux banques sud-africaines. La prudence des grandes enseignes, notamment la Société générale, est regrettable. Elle n'est pas au niveau de la transformation qu'est en train de vivre l'Afrique. » Le rapport et la conférence veulent jouer le rôle de déclic pour les entreprises et le grand public. Les objectifs annoncés sont très ambitieux. Doubler les échanges commerciaux entre l'Afrique et la France en cinq ans. Et créer ainsi 200 000 emplois, salutaires en temps de crise.