jeudi 26 février 2015

L'Afrique, malade de son pétrole ?

Article publié initialement le 19 février sur le site du think tank de l'Afrique des idées et consultable ici

Le pétrole, au lieu de profiter aux pays, se transforme bien souvent en cadeau empoisonné, notamment dans les États d’Afrique centrale, minés par le clientélisme et la corruption.

« Je ferai du Congo une petite Suisse », s’enthousiasmait en 1992 le futur président congolais Pascal Lissouba, en pleine campagne électorale. Plus de vingt ans après, sa promesse, qui déjà à l’époque prêtait à sourire, laisse un goût d’amertume. Dans ce petit État pétrolier, près d’un Congolais sur deux vit toujours sous le seuil de pauvreté et le Congo figure à la 140e place dans le classement des indicateurs de développement humain (IDH), que réalise le PNUD chaque année. La Suisse paraît bien loin.

Sur le papier pourtant, le Congo ressemble bien à ce pays de cocagne dont rêvait l’ancien président Pascal Lissouba: une croissance de plus de 5%, un peu plus de 4 millions d’habitants, la grande forêt tropicale du bassin du Congo au nord, une façade maritime au sud-ouest, le majestueux fleuve Congo à l’est, un climat idéal pour l’agriculture, et surtout du pétrole. Avec une production estimée à 263 000 barils par jour, le précieux or noir est le cœur de l’économie congolaise, il représente au moins 60% de son PIB, 75% des recettes publiques et 90% des exportations. Et c’est sans doute là que le bât blesse.

Car le Congo-Brazzaville, comme ses voisins de Guinée équatoriale, du Gabon ou d’Angola semblent emblématiques de « la malédiction des ressources naturelles » qui frappe tout particulièrement l’Afrique centrale. C’est l’économiste britannique Richard Auty qui le premier a théorisé en 1993 cet apparent paradoxe: l’abondance en ressources naturelles d’un pays au lieu de lui profiter, ralentit sa croissance et son développement, quand d’autres États moins favorisés par la nature réussiront beaucoup mieux.

Les explications développées depuis par les chercheurs sont nombreuses et relèvent aussi bien de mécanismes politiques qu’économiques. Le pétrole (comme d’autres ressources naturelles ailleurs) crée une économie de rente, qui transforme le jeu politique en une lutte pour la captation des ressources. Dans un récent article, le politologue le politologue Michael Ross y associe trois conséquences directes: la rente entretient les régimes autoritaires, elle favorise la corruption et le clientélisme, elle est même facteur de conflits et de guerre civile, comme celles qui ont eu lieu en Angola ou au Congo-Brazzaville.

Sur le plan économique, si elle permet une croissance rapide et parfois élevée, la rente pétrolière rend les pays vulnérables, à la merci de la volatilité des prix. Appréciant la monnaie, elle peut aussi jouer un effet négatif sur les exportations dans d’autres secteurs, et encourager les importations aux dépens de la production intérieure et de la diversification de l’économie dans l’agriculture ou l’industrie.

Un cadeau empoisonné

Bref, le pétrole, sans institutions et garde-fous solides peut bien se transformer en cadeau empoisonné.  « Les pays les plus dépendants au pétrole sont les moins démocratiques, les plus corrompus et ceux où les inégalités sont les plus fortes », explique ainsi sans détour Marc Guéniat, responsable enquête de la Déclaration de Berne, une ONG suisse qui analyse et dénonce le rôle des négociants suisses dans les pays pétroliers africains. « Évoquer un lien causal entre le pétrole et l’absence de démocratie est peut-être exagéré, mais on observe de toute évidence une corrélation », ajoute-t-il, « même si certains États pétroliers comme la Norvège sont des modèles de démocratie».

La rente pétrolière entretient ainsi le modèle de l’État post-colonial africain “néopatrimonial” où la classe dirigeante confond biens publics et intérêts privés et transforme le pouvoir en un exercice d’accumulation de richesses partagées par un club restreint de privilégiés. Gabon, Congo-Brazzaville, Guinée équatoriale et Angola, autant de pays cités dans l’affaire des biens mal acquis, dont l’instruction est en cours en ce moment même en France. Les chefs d’État, certains de leurs enfants et de leurs proches sont visés par une plainte pour recel de détournement de biens publics, soupçonnés d’enrichissement et d’accumulation de biens luxueux (hôtels particuliers, appartements, automobiles…) sans rapport avec leurs postes et leurs revenus officiels.

Dans ces pays, la gestion du secteur pétrolier et de l’économie en général est stratégiquement attribuée à des proches du pouvoir. Au Congo-Brazzaville, Denis Christel Sassou Nguesso, fils du président actuel et député dans la circonscription d’Oyo, est le directeur général adjoint de l’aval pétrolier de la SNPC, la société nationale des pétroles du Congo. En Angola, les enfants du président Eduardo dos Santos exercent eux aussi des responsabilités clés. À l’ainée Isabel, surnommée « la princesse » et considérée par le magazine Forbes comme la femme la plus riche d’Afrique, des participations dans de nombreuses entreprises angolaises et portugaises ; à son frère, José Filomeno, la gestion du fonds souverain angolais. Teodorin Obiang, régulièrement cité dans l’affaire des biens mal acquis est quant à lui ministre de la Défense et 2ème vice-président de la Guinée équatoriale.

« Un clan a la main mise sur la banque centrale dans ces États. C’est leur porte-monnaie. Ils considèrent leurs pays comme leurs jardins. Les conflits d'intérêts sont patents, comme au Congo Brazzaville. La SNPC, la compagnie publique qui attribue et gère les contrats pétroliers, est présidée par Denis Gokana. Cette même personne est simultanément le fondateur de la principale entreprise privée pétrolière du pays, African Oil and Gas Corporation, qui signe des contrats avec l’Etat », dénonce encore Marc Guéniat.

Soigner la maladie

Alors quels remèdes pour faire face à cette redoutable maladie ? Pour le chercheur suisse, la première 
et indispensable étape c’est la transparence : « des appels d’offres publics avec des critères clairs et précis, la publication de l’intégralité des comptes des sociétés pétrolières étatiques dont l’action est aujourd’hui complètement opaque. Pour l’instant, ce sont de véritables boites noires. Les comptes ne sont pas publiés et introuvables. Que penserait-on en France si des entités publiques comme la SNCF ne rendaient pas compte de leurs activités ?… ».


Pour progresser dans cette voie, la communauté internationale a lancé en 2003 l'Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), qui rassemble entreprises, ONG et États producteurs volontaires qui s’engagent à respecter des normes sur l’amélioration de la gouvernance des ressources naturelles. Mais les pays cités ici sont loin d’être exemplaires. Le Gabon a ainsi été radié de l’ITIE, parce qu’« aucun progrès significatif » n’y a été constaté. La Guinée équatoriale a posé sa candidature en 2007 mais n’a jamais pu devenir membre faute d’avoir rempli les critères d’admission. L’Angola n’a visiblement pas souhaité y prendre part. Seul le Congo-Brazzaville participe à l’ITIE, et des progrès notables y ont été relevés par la société civile, avec la publication in extremis par l’État du rapport 2013, le 31 décembre 2014, qui décrit les recettes tirées de la production pétrolière et leur place dans l’économie du pays. Une société civile qui ne manque pas toutefois de dénoncer l’opacité de certains contrats avec les nouveaux partenaires chinois notamment.  

À plus long terme, la solution passe aussi par une consolidation des contrepouvoirs et des institutions. Ainsi le pétrole récemment trouvé au Ghana pourrait bien profiter au pays selon les chercheurs Dominik Kopinski, Andrzej Polus et Wojciech Tycholiz (“Resource curse or resource disease? Oil in Ghana”, African Affairs, 112/449, 583–601), parce qu’après plusieurs alternances et une succession pacifique au pouvoir, la tradition démocratique y est solidement ancrée. L’économie ghanéenne diversifiée et une société civile vigilante, qui réclame un cadre juridique précis pour l’exploitation du pétrole, tendent aussi à préserver le pays de la maladie du pétrole.

Autre exemple régulièrement cité, le Botswana et sa gestion du diamant couronnée de succès. Le pays a bénéficié d’une stabilité institutionnelle, antérieure à l’exploitation du diamant, avec des responsables politiques bien décidés à privilégier l’intérêt national sur les intérêts tribaux. Puis les autorités ont fixé des règles claires comme le transfert à la puissance publique des droits des tribus à exploiter les concessions minières. Mais aussi l’adoption d’une gestion budgétaire prudente, qui interdit de financer les dépenses courantes de l’Etat avec la rente diamantaire.

La maladie des ressources naturelles n’est donc ni automatique ni incurable, assurent ainsi les experts de la Banque mondiale Alan Gelb et Sina Grasmann parce qu’on “on ne peut tenir les graine de pavot responsables de l’addiction à l’héroïne”.  « L’essentiel est de compléter les ressources naturelles par un capital humain est institutionnel suffisant », expliquent-ils un brin laconiques.

Utiliser la richesse pétrolière comme un levier de redistribution et d’investissement pour diversifier l’économie, et développer l’éducation et la santé : le défi apparaît aussi immense qu’indispensable pour des pays à la jeunesse nombreuse, avide de formations, d’emplois et d'opportunités, que le secteur pétrolier seul sera bien en peine de lui fournir.






mardi 10 février 2015

Constitutions: Sassou et Kabila dans des situations bien différentes

Article publié initialement sur Terangeweb et consultable ici

Les présidents des deux Congo sont confrontés au même problème : leurs Constitutions respectives les empêchent de briguer un nouveau mandat. Mais ils ne sont pas tout à fait dans la même situation.

Ironie du sort, Denis Sassou Nguesso et Joseph Kabila, à qui on a régulièrement prêté des différends sont confrontés exactement au même problème en ce début d’année 2015. Et il se résume à chaque fois à des numéros: 57, 58 et 185 au Congo Brazzaville, 70  et 220 en RDC, les articles constitutionnels qui les empêchent de briguer un troisième mandat à la tête de leur pays. Si la loi fondamentale reste en l’état et si ils la respectent, Sassou Nguesso, tout comme Kabila auront quitté le pouvoir fin 2016.

Après le précédent burkinabè, le débat fait donc rage à Brazzaville comme à Kinshasa, les deux capitales les plus proches du monde – séparées seulement par le fleuve Congo, franchi en sept minutes de canot rapide, avant d’affronter les formalités administratives qui dureront elles beaucoup plus longtemps,  quelle que soit la rive où l’on accoste.

À Brazzaville, le sujet est officiellement sur la table depuis le 31 décembre et l’appel du principal mouvement de la majorité, le Parti congolais du travail (PCT), à la rédaction d’une nouvelle Constitution, plus adaptée à la situation du pays. L’ancien texte serait dépassé estime le parti du président Sassou, car rédigé en 2002 dans une période post-conflit, après la sanglante guerre civile qu’a connu le pays.

Bien sûr cette nouvelle Constitution n’a rien à voir avec l’éventualité d’une énième candidature du président Sassou, assure le PCT… Pourtant, l’opposition et quelques rares dissidents de la majorité y voient une simple manœuvre pour justifier un « coup d’État constitutionnel », assurant le maintien au pouvoir du chef. Denis Sassou Nguesso a quant à lui sobrement jugé sain et démocratique un tel débat constitutionnel dans son message de vœux à la Nation.

À Kinshasa, le débat a pris un tour nouveau depuis les violences survenues entre le 19 et le 22 janvier dans la capitale et à Goma à l’est du pays. À l’origine de ces affrontements, dont le bilan est  estimé par les ONG à plus de quarante morts, un projet de loi électorale qui a mis le feu aux poudres. En effet, un article particulièrement controversé qui réclamait un recensement avant les prochaines élections, laissait craindre un report de la présidentielle, ce qui n’était pas tout à fait du goût de l’opposition. Celle-ci dénonçait, là encore, une tentative du président Kabila de s’accrocher au pouvoir. Face à la contestation populaire, l’article a finalement été retiré.

Preuve qu’à Kin’, comme à Brazza, la question constitutionnelle est sensible, même si en RDC ni le parti majoritaire (le PPRD), ni le président n’ont officiellement pris position dans le débat

 Deux situations bien différentes

Les deux chefs d’État sont donc face au même défi, ils restent néanmoins dans des situations bien différentes, autant liées à la nature de leurs pays qu’à l' histoire politique de chacun d'entre eux.

Il y a d’abord un géant face à un petit poucet. La RDC, est l'un des plus grands pays d'Afrique (cinq fois la taille de la France...) et figurent parmi les plus peuplés, avec ses 80 millions d’habitants.
Plusieurs parties du territoire échappent encore au contrôle des autorités à l’est du pays et dans le nord de la province du Katanga. Maï Maï, ADF Nalu, ou anciens rebelles hutus rwandais FDLR… les difficultés avec les groupes armés sont loin d’être réglées dans les Kivus.

Par contraste, le Congo-Brazza et ses quatre millions d’âmes, fait figure de petit pays tranquille. Et Brazzaville de village paisible qui dévisage avec inquiétude la « Gotham City » Kinshasa aux grandes tours défraichies. Le calme, la paix, après la guerre civile de 1997 qui a marqué les esprits sont d’ailleurs les arguments volontiers convoqués par le camp du président Sassou pour appeler à son maintien au pouvoir.

Sassou et Kabila, c’est aussi deux personnalités et deux situations politiques très différentes. À 43 ans, Joseph Kabila reste un chef d’État énigmatique et discret, assez malicieux certainement pour avoir échappé, depuis 2001 et l’assassinat de son père, aux chausses trappe inhérentes à l’exercice du pouvoir en RDC. Il reste toutefois très difficile de mesurer la nature et l’étendue de son autorité quand les richesses du sous-sol de son pays et le désordre qui y règne renforcent sans cesse les convoitises et les rivalités.

Sur le plan intérieur, Kabila dispose de concurrents reconnus comme Etienne Tshisekedi, le leader de l’UDPS apprécié notamment à Kinshasa et qui revendique depuis 2011 sa victoire aux dernières élections présidentielles.  Dans la majorité même, des concurrents s’affirment et affichent leur opposition à la révision constitutionnelle. Depuis quelques semaines, le charismatique gouverneur du Katanga, Moise Katumbi, connu pour les succès continentaux de son équipe de football le Tout Puissant Mazembe, fait ainsi parler de lui en rejetant implicitement une nouvelle candidature de Kabila. Et il n’est pas le seul au sein de la majorité à prendre ses distances. 

À 71 ans, Denis Sassou Nguesso est lui un animal politique  plus expérimenté. Il a déjà plus de trente ans de pratique du pouvoir derrière lui, malgré la parenthèse de la présidence Lissouba entre 1992 et 1997 avant son retour par les armes. Le président a habilement fragilisé les partis d’opposition historique comme l’UPADS, celui de l’ancien président Lissouba, ou le MCDDI, celui de feu Bernard Kolélas, autre rival des années 1990, en attirant ses adversaires dans son giron grâce, disent ses détracteurs, à l’attraction qu’exercent les richesses pétrolières du pays. Au sein de l’opposition, on serait ainsi bien en peine de distinguer des figures fédératrices et reconnues par la population. Des opposants minoritaires existent bel et bien mais ils ont du mal à se faire entendre dans un paysage médiatique sous contrôle.

Quant à la majorité, à l’image du PCT, héritier des années socialistes au Congo, elle reste à l’unisson avec son chef, même si quelques dissonances notables apparaissent ces dernières semaines par les voix d’anciens ministres comme André Okombi Salissa ou Charles Zacharie Bowao ou même d’un membre du gouvernement actuel Guy Parfait Kolélas (fils de Bernard…), opposées au changement constitutionnel.

 Par contraste avec un Kabila bien discret sur la scène diplomatique, Sassou Nguesso fait aussi parler son expérience à l'international avec la confiance de ses partenaires. Il est par exemple le médiateur dans la crise centrafricaine.

Un même défi donc et des situations différentes pour les présidents Kabila et Sassou. Mais ces réalités dans toute leur complexité ne permettent évidemment pas d’annoncer quels seront les prochains épisodes pour l’un ou l’autre de ces chefs d’Etat congolais. Qui aurait pu prédire qu'au Burkina Faso, une révolution populaire allait contraindre Blaise Comparé à quitter le pouvoir après 27 ans à la tête du pays ?