vendredi 10 décembre 2010

Figures de la littérature congolaise

La littérature a une grande place dans culture congolaise. Elle reste d’ailleurs un marqueur de prestige social fort, et plusieurs responsables politiques actuels sont écrivains, entre autres : Henri Lopes, l’Ambassadeur du Congo en France ou Henri Djombo ministre du développement durable et de l’économie forestière.
La littérature congolaise a franchi les frontières depuis bien longtemps. Aujourd’hui, une de ses figures de proue est incontestablement l’écrivain Alain Mabanckou, qui vient de sortir Demain j’aurai vingt ans chez Gallimard et qui a reçu le prix Renaudot pour Mémoires de porc-épic en 2006.

Présentation de quelques figures de la littérature contemporaine congolaise

Sony Labou Tansi


Sony Labou Tansi a marqué l’histoire culturelle du Congo des années 70-80 avec ses romans, pièces de théâtre et poèmes. Aujourd’hui, un des rares lieux culturels de la ville, avec le CCF, porte son nom : le Cercle Sony Labou Tansi, où répètent les troupes de danse et de théâtre. En avertissement de son roman-phare La vie et demie (1979), Sony Labou Tansi explique le sens de sa démarche littéraire : « Des amis m’ont dit : « je ne saurai jamais pourquoi j’écris ». Moi par contre je sais : j’écris pour qu’il fasse peur en moi. Et, comme dit Ionesco, je n’enseigne pas, j’invente. J’invente un poste de peur en ce vaste monde qui fout le camp. «

Outre La vie et demie, qui raconte dans un délire verbal la folie d’un tyran sanguinaire, le guide providentiel de Katalamasie, plusieurs textes dont sa correspondance sont très intéressants. Dans ses lettres, on retrouve toute l’inventivité du personnage, son goût d’être bringuebalé par les mots jusqu’à l’absurde et au vertige. C'est aussi toute l'ambiance du Congo des années 70 qui transparaît :

« Lettre à Françoise Ligier
Sony Labou Tansi
Congo
21 décembre 1973

La vie au fond, si c’est Dieu qui la donne, il devrait savoir à qui il la donne ; pour ne pas en donner un de très « cochon » à certains. Mon vertige, c’est celui là, Françoise. Même si cela ne devait durer que 24 heures, tant que ce n’est pas « cochon », tant que ce n’est pas mammifère, ça fait éternité. Le besoin de grandir. D’écraser jusqu’à s’écraser si nécessaire. Le système disions-nous. C’est peut être plus facile à rejeter qu’à accepter. Non, ce que je réfute de lui, c’est l’ « homme perdu comme une pièce de cinquante centimes ». Ça serait con d’être anti-système seulement. Du facile comme bonjour. Tu me demandes s’il n’y a jamais eu un temps de mon système. C’est dangereux mais je crois qu’il vient ce temps là. Et puis mon Dieu « de précaution en précaution, on devient un jeune homme bien élevé ». Je n’ai pas le temps de prendre des précautions. Je sais que je ne suis pas comestible. C’est rassurant. Autrement bien sûr fallait « rogner ». Mais une fois qu’on est sûr qu’on n’est pas comestible, on refuse de cochonner. Manque de temps. Et puis nom de Dieu, le système c’est la mode, il y a toujours plus que la mode. Bon. Ça m’agace un peu. La gueule philosophique. A quoi bon ? Et puis il y a pas mal de trucs que je ne saisis pas dans ta lettre. Qu’est ce que c’est la Smala ? Qu’est ce que c’est la vieille montre qui se démonte ? Tu sais, j’ai horreur de réfléchir sur les choses. Sentir ! Et puis découvrir. La mathématique, non. Double-décimètre à la poubelle. Grandir jusqu’à ne plus être à la mesure. Quand on raisonne, on se découvre à l’échelle 1/1 000 000. Et on devient invisible. Or, j’ai appris à me passer d’invisibilité. Je vrombis sans doute trop. Qu’est ce que c’est « être sexiste » ? j’avoue ne pas piger. Et puis, c’est difficile de dire des trucs sans qu’on les remette en cause. Ce que je pense aujourd’hui, avec l’expérience. On ne sait jamais. Tu persistes à croire que Dieu, c’est un cadeau piégé ? du moins quand on l’associe à nos décisions ! Comment peut-on refuser ce chemin du retour de l’Homme à l’Homme. Cette légitime (et le mot est très faible) soif d’exploser en infini, de grandir sans entrainement, sans apprentissage, sans éducation, cette sortie de l’animal. Evidemment, il y a les légendes qui embrouillent tout.

Le général Mobutu. Encore un général. Le seul président africain que j’ai failli prendre au sérieux ; tu sais ? Le mecton du Zaïre. Il vient de faire son numéro général : d’horloge parlante : il prend le pays pour un coin de son sexe. Paraît qu’on est qualifié pour la Coupe du Monde de football. Et pour fêter l’événement il distribue aux joueurs, des voitures (24) des maisons (24) des séjours à l’étranger à volonté et en famille (24). Et puis on chante ça à la voix du Zaïre. L’autre Général, Bokassa, qui a eu un fils le 2 novembre dernier, a poussé l’authenticité à lui donner dix-neuf noms et le 3 Nov était journée chômée payée en Rép. Centrafricaine. C’est pas des arabes ces généraux-là. C’est des Noirs, tout noirs. Chacun a son morceau de système. Il paraîtrait (confidentiel) que le président de la Rép Pop et son second en force (Yombi Opangault) se sont battus dans la rue à B/ville. Toujours du système, mais cette fois avec de la sauce africaine. Un président bagarreur de rue, tu ne peux pas deviner ce que c’est encombrant. Et il va planter des slogans à la radio tous les jours. Nous avons de quoi ne pas s’ennuyer. On le dit. Et puisque ce n’est pas nouveau. Très amicalement.Sony Labou Tansi »


Emmanuel Dongala



Emmanuel Dongala fait également partie des auteurs congolais incontournables. Son roman le plus connu est Johnny Chien Méchant (2002), récemment porté à l’écran. Dans un style assez classique, il y raconte avec force la guerre au Congo en adoptant deux points de vue, celui d’un soldat, et celui d’un enfant, victime.

On peut citer également son recueil de nouvelles Jazz et vin de palme (1982), particulièrement savoureux. Avec un humour grinçant il évoque le hiatus entre le discours marxisant et la vie quotidienne congolaise dans les années 70-80. Il mêle aussi les influences avec des nouvelles sur New York, John Coltrane…

« Jazz et vin de palme », la nouvelle titre raconte une soudaine invasion extraterrestre dans le bassin du Congo, et la réaction de la communauté internationale :

« Les Etats-Unis proposèrent ce qu’ils appellent « saturation bombing », le système de tapis de bombe qu’ils avaient essayé en Allemagne, en particulier à Dresde, et perfectionné au Vietnam, et tant pis si dans le processus quelques indigènes y laissaient leur peau ; après tout, non seulement la Terre continuait à tourner malgré le massacre de dizaine de milliers d’Indiens, mais l’Amérique était devenue la première puissance mondiale. Les Russes au contraire étaient pour la bonne vieille méthode d’une intervention massive de chars et de véhicules blindés qui avait si bien réussi en Hongrie, en Tchécoslovaquie et en Afghanistan. La Chine vu la gravité de la situation proposait de faire déferler dans la Cuvette congolaise des millions d’hommes, on pouvait en tuer quelques millions, il en resterait toujours suffisamment pour vaincre les envahisseurs qui après tout n’étaient que des tigres de papier. Cuba, appuyé par le Vietnam et la Corée du Nord, proposa d’employer la méthode de la guérilla : si l’envahisseur avance, nous reculons, si il recule, nous avançons, ainsi nous jugerons de ses forces et de ses faiblesses. L’Afrique du Sud, elle, proposa tout simplement de construire des barbelés, une sorte de ligne Verwoerd autour du lieu de contamination et suggéra de placer le long de cette ligne des soldats de pure race ; et pendant qu’on y était, on ferait bien de parquer dans cette zone contaminée tous les Noirs, tous les Arabes, tous les Chinois, tous les Indiens d’Amérique et d’Asie, tous les Papous, tous les Malais, tous les Esquimaux… »

Alain Mabanckou

On ne présente plus Alain Mabanckou (et sa casquette) en France où il connaît un grand succès.



Son roman Verre Cassé (2005) reste sans doute son meilleur livre à ce jour. Il y raconte, avec humour et tendresse, le quotidien des habitués du café le Crédit a voyagé, avec son lot de marginaux, de gueules cassés, de scènes cocasses ou tragiques. Mabanckou a sorti tout récemment un nouveau livre très autobiographique : Demain j’aurai vingt ans (2010), qui raconte la jeunesse d’un enfant de Pointe Noire dans les années 70-80. Malgré l’intérêt de retrouver l’ambiance de cette époque, le livre s’essouffle un peu, et la voix naïve du jeune Michel sonne assez faux. Il y a malgré tout quelques épisodes émouvants ou drôles:

« Le soir, papa Roger se branche sur la Voix de l’Amérique, une radio qui donne les informations en français depuis l’Amérique (…)
Il y a un journaliste de la Voix de l’Amérique que papa Roger aime bien et qui s’appelle Roger-Guy Folly. A table il nous parle plus que de cet homme. Est-ce que c’est parce que le journaliste en question se prénomme Roger comme lui ? Quand mon père prononce son nom, on dirait que c’est son propre frère qui parle. Roger-Guy Folly par ci, Roger-Guy Folly par là. (…)

Ce soir, Roger Guy Folly nous parle d’une ville qui s’appelle Phnom Penh, la capitale du Cambodge. Phnom Penh c’est un nom trop compliqué à prononcer. L’écrire c’est très compliqué aussi, mais une fois qu’on l’a écrit ça devient facile comme de l’eau à boire. Sinon comment les Cambodgiens ils font pour l’écrire et le prononcer chaque fois alors qu’ils sont des êtres humains comme nous ?

Or maman Pauline n’arrive toujours pas à prononcer Phnom Penh.

Papa Roger lui dit :

- Pauline, c’est pourtant très simple : pour prononcer Phnom Penh, tu contractes ta bouche, tu souffles en bloquant de l’air comme pour siffler, et tu ouvres brusquement ta bouche comme lorsqu’on est étonné devant une situation très grave, ce qui est justement le cas au Cambodge ! »


Wilfried N’sondé

Wilfried est N’sondé est venu tard à la littérature. Arrivé en France enfant, il a beaucoup voyagé dans sa jeunesse puis s’est installé à Berlin pour monter un groupe d’Afropunk, les Wild Congo, avec son frère. Son premier roman Le cœur des enfants léopards paru en 2007 est plutôt réussi. Le narrateur coincé en garde à vue, et maltraité par les policiers laisse son esprit divaguer entre les souvenirs de galères de jeunesse en banlieue parisienne, ses amours adolescents, et les paroles de ses ancêtres comme celles-ci:

« N’oublie pas l’histoire, d’où tu viens, rappelle toi toujours la brousse, la jungle, les léopards, nos esprits qui appellent et agissent jusqu’au-delà des chaînes de la servilité. Ils sont grands puisqu’ils ont vaincu la mort.
Sache que les léopards furent les maîtres du pays, longtemps avant nous, d’abord ils nous ont chassé sans pitié puis un jour….Nul ne sait plus vraiment. Mon fils, laisse la logique dans ton costume et tes chaussures bien cirées. On ne peut l’expliquer plus exactement ni ici ni ailleurs, mais une chose est sûre, l’on retrouva certains d’entre nous dans la brousse et la jungle. D’autres perchés au plus haut d’arbres centenaires, tous nourris à la mamelle des fauves protecteurs, le regard franc et doux, caressés par leurs pattes de velours et de mort. C’est alors qu’a commencé notre histoire, le pays Kongo. »
Bien sûr, on pourrait citer de nombreux autres auteurs comme le poète Tchicaya U Tam’Si, considéré par beaucoup d’écrivains comme un des pères fondateurs de la littérature contemporaine congolaise, Jean Batiste Tati Loutard, et bien d’autres encore…

mercredi 3 novembre 2010

Balade architecturale à Brazza la verte


Tout récemment, la fondation Charles de Gaulle est passée à Brazzaville commémorer les 70 ans du ralliement du Congo à la France Libre. Une visite avec son lot de cérémonies officielles, de cocktails protocolaires, et de malaises de personnes âgées, très âgées (des compagnons de route du général de Gaulle...), peu habituées aux climats tropicaux.

Leur venue a tout de même eu le mérite de mettre un coup de projecteur sur l’histoire de la ville, et plus spécialement, sur son architecture originale. Bien des bâtiments étant de près ou de loin liés au passage du général de Gaulle à Brazzaville.

Quand on parle d’architecture à Brazzaville, le même nom revient en boucle. Roger Erell (son vrai nom Roger Lelievre, qui donne les initiales RL, qui donne Roger Erell), jeune architecte des travaux publics qui arrive en 1941 à Brazza. La ville lui doit la plupart de ses bâtiments de l’époque coloniale, qu’il bâtit en tentant d’associer les matériaux et artisans locaux aux techniques occidentales.

Puisqu’on évoque de Gaulle, on pense bien sûr avant tout à la fameuse « Case de Gaulle », dont la proximité avec une case africaine est assez discutable.


Il s’agit plutôt d’un gros bâtiment imposant aux formes carrés, conçu par Errel à partir de 1941 sur le modèle du palais de Chaillot au bord de la Seine, tout juste inauguré à Paris en 1937. Le bâtiment était conçu pour accueillir le général de Gaulle dans une résidence digne de son rang de chef de la France Libre. A l’indépendance du Congo, le général de Gaulle fait don de la case à l’Etat français, qui en fera la résidence de l’ambassadeur de France, ce que la case continue d’être aujourd’hui. Face à la case, il y a les pour et les contre, ceux qui le comparent à un blockhaus un peu grossier, et d’autres qui soulignent l’originalité de la construction.


Tout le monde s'accorde en tout cas pour trouver l’emplacement idéal, avec une grande terrasse ombragée qui donne sur le fleuve Congo.. Le bâtiment serait selon certains le premier construit en béton armé à Brazzaville. L’architecture est assez étonnante avec un grand hall circulaire d’entrée, habilement aéré par un système de claustras.


Parmi les autres réalisations d’Errel, il y a bien sûr la basilique Sainte Anne, dont les travaux commencent en 1943, et devenue un véritable symbole de la ville. Ce qui frappe au premier regard c’est le joli bleu des tuiles de la basilique, venues du sud de la France.


Là aussi, Errel associe le modèle occidental du plan d’Eglise en croix latine, à une construction inspirée des case africaine avec un intérieur en forme de mains jointes. On remarque aussi en entrant les jolies portes en bois sculptées.


L’intérieur est chalheureux et parfaitement adapté aux couleurs et aux chants des chorales congolaises.

Juste en contrebas de la basilique, on trouve le stade Félix Eboué, lui aussi associé à la figure du général de Gaulle puisqu’il il y a prononcé plusieurs discours importants dont celui de 1958 où il appelle les pays africains à former une communauté, préfigurant pour certains, la décolonisation. Le stade, bati par Errel également, est vaste et aéré et accueille encore aujourd'hui des concerts ou des matchs de foot.


Pour souffler et échapper un peu aux gaullistes, et à Errel, , on peut aussi jeter un œil à l’ancienne salle de cinéma VOG, réalisée en 1953 par l’architecte Charles Cazaban-Mazerolles. La façade avec un auvent recourbé en béton, est sur le modèle de nombreux cinéma de la même époque en France. Aujourd’hui, la salle est fermée, et c’est bien dommage. Seul le CCF permet encore de voir des films.


Enfin, on peut remonter un peu dans le temps et aller faire le tour de la cathédrale du sacré cœur. Un joli bâtiment construit à la fin du XIX , en haut d’une colline. A l’intérieur, une grande charpente repose sur des colonnes en bois. La cathédrale sera remodelée plusieurs fois. Début du 20ème pour la façade qu’on agrémente de deux tours, et en 1952 par Errel, qui la restaure en ajoutant, parce qu’il ne peut pas s’en empêcher, un peu de béton et du ciment . L’endroit est très agréable avec un grand parc à l’ombre de l’église, où on peut se reposer


Et si on croyait avoir définitivement distancé les compagnons de route du général de Gaulle, c’était sans compter sur leur obstination. Le gaulliste acharné nous expliquera que de Gaulle a évidemment assisté à une messe dans cette cathédrale en 1941…

jeudi 26 août 2010

Le samedi à Brazzaville, c'est le jour du mariage...


Le samedi à Brazzaville, c'est le jour du mariage


Jour de mariage, ce samedi dans le quartier populaire de Talangaï, au Nord de Brazzaville.

Pas n’importe quel mariage, mais le mariage coutumier, qui précède le mariage civil et religieux, et qui est sans doute le plus important : c’est le moment où le futur mari paie la dot à sa belle famille.

Aujourd’hui Laudes Martial épouse Mamie Arsimine.

Le rendez vous est fixé à 12H30 dans la cour d’une maison. Deux grandes tentes ont été dressées et les sièges sont en rangée d’oignons pour accueillir les invités.

Sous la tente principale, les deux familles, de la femme et du mari, se font face. Pour le moment, le siège des mariés, au milieu de l'assistance, est vide. Laudes martial est assis dans les rangs de sa famille. Quant à Mamie Arsimine, elle attend patiemment chez elle qu'on vienne la chercher. Chaque famille a choisi un orateur pour la représenter. Etre orateur est presque un métier, il faut savoir bien parler, et faire rire le public. La tâche est d'ailleurs rémunérée, et les heureux élus sont souvent les mêmes de mariage en mariage. Notamment parce qu’il est essentiel de bien connaître tous les codes d'un mariage coutumier, dont certains à moitié magiques, pour éviter tout incident diplomatique.

La cérémonie commence avec une heure de retard, comme souvent au Congo.

Après avoir un peu entrainé la foule, l’orateur de la fiancée prend la parole. Il s’adresse au « camp d’en face ».

« - Alors comme ça vous avez vu une poule chez moi …
- Oui répond son homologue, une bien jolie…
- Et qu’est ce que vous avez à m’offrir pour avoir cette poule ? »

S’en suit la longue liste de cadeaux, préparée à l’avance avec la famille de Mamie Arsimine.

« - Est-ce que vous avez une tenue de femme (pour la mère)
- Oui nous avons répond l’autre pendant qu’un membre de la famille l’amène

- Est-ce que vous avez un costume complet (pour le père)
- Oui nous l’avons…Regardez comme ce costume est beau. Il montre l’étiquette. Il est italien. L’assistance rit et applaudit.

- Est-ce que vous avez cinquante mille francs CFA.

L’orateur d’en face arrive avec une enveloppe. Il compte, et l’assemblée en chœur avec lui les billets de 10 000 FCFA. 1, 2, 3, 4, 5…

- Est-ce que vous avez un sac de sel…Est-ce que vous avez un lot de foulards…

- Est-ce que vous avez 25 casiers de Primus (la bière locale)
- Bien sûr nous avons 25 casiers de Primus. Les casiers de Primus commencent à s’accumuler sur la natte, posée aux pieds de la famille de Mamie Arsimine pour accueillir les présents.

- d’ailleurs comme nous sommes un bonne famille, nous en avons même 30…L’assistance applaudit, hilare pendant que cinq casiers supplémentaires arrivent. L’ensemble de la famille "adverse" est maintenant dissimulée derrière la pile de casiers.

- Et même 35 ! Et cinq casiers supplémentaires arrivent. Tout le monde est ravi…

- Avez vous des chaussures de femmes de pointure 40, 41, 42
- Evidemment nous les avons. Regardez cette chaussure de pointure 40, elle est italienne. Et voici celle 41, puis 42. Mais je n’ai jamais vu d’aussi grands pieds. »

L'assistance rit à nouveau.

Et ainsi de suite, toute la liste y passe, dans un ordre bien précis, avec une succession d’objets de toute sorte, de vêtements, de vin de palme, d’enveloppes d’argent…Les deux orateurs se déchainent. C’est drôle et un peu long.

Vient le moment de la dot. Là la cérémonie change un peu. Les orateurs et quelques éminents représentants des deux familles quittent l’assistance, et se rendent derrière la maison pour évoquer et échanger la somme choisie. C’est chose là ne se font pas en public…D’après des personnes croisées au mariage, le montant d’une dot peut varier, mais va vite dans les 200 000 ou 300 000 FCFA. Pour un mariage complet il faut compter à peu près 1, 5 millions de FCFA (un peu plus de 2200 euros). Et les prix montent, paraît-il…

Les deux familles reviennent. La dot a été donnée.
L’orateur de la fille prend la parole. « Bon, il y ce qu’il faut pour prendre la poule. Mais quelle poule tu veux au juste ? », demande t-il au mari.

C’est l’heure d’aller chercher la femme chez elle. Le mari doit paraît-il trouver sa future femme, cachée dans la maison, pour montrer qu'il la mérite bien.

Une quinzaine de minute plus tard les mariés reviennent tous les deux, main dans la main, sous les hourras de la foule. Ils prennent enfin place sur la banquette qui leur était destinée. La femme est vêtue d’une grande robe bleue, très brillante, et a, pour l'occasion, une coiffure sophistiquée avec de nombreuses couleurs et rajouts.

Le moment fatidique approche.
Une bouteille de jus (soda) est ouverte. On en prépare un verre pour le père de la marié. « Ma fille est ce que c’est vraiment ce jeune homme que tu veux pour époux ? ». Le père répète trois fois la question à sa fille qui répond trois fois oui. Il boit alors son verre de jus, signe d’approbation du mariage.
Vient le tour du mari à qui la femme prépare un verre de jus. Elle se met à genoux devant son mari, en signe de soumission, et le fait boire. Puis le mari fait boire à son tour un verre de jus à sa femme. Lui, reste debout.

Tout le monde applaudit très fort. On fait des photos. Il y a un peu d’agitation. Des jeunes filles, les belles sœurs du marié, se bousculent pour aller cirer ses chaussures. Il leur donne en échange 500 Francs à chacune. Apparemment cela fait également partie des traditions. Et le marié a intérêt à avoir de la monnaie sinon ce sont les billets de 5000 qui y passent. « Des vraies rapaces » dit le chauffeur de taxi sur le chemin du retour. Il vient de se marier et avait pris soin d’avoir une bonne liasse de billets de 500 pour ne pas se faire avoir.

Les mariés se lèvent. La foule les interpelle : le baiser, le baiser ! « Au moins une heure, Laudes, au moins une heure » dit l’un, « pas moins », « allez vas-y laudes, le baiser du cinquantenaire » (Le Congo vient de fêter cinquante ans d’indépendance).
Les deux mariés s’embrassent, plus furtivement que ce que réclamait l’assistance, malgré tout ravie..

Vient le moment de la longue file des invités félicitant les mariés en leur offrant des cadeaux de toute sorte dont, une chèvre, de la nourriture, des bassines, et de nombreux paquets emballés dans du papier brillant.

Puis les casiers de Primus et de jus sont amenés, tout le monde s’y met à cœur joie.

Ça y est la cérémonie officielle est terminée. Il est 16H. Et les festivités ne font que commencer…

mardi 20 juillet 2010

Les ethnies au Congo

Le 15 août prochain, le Congo va comme de nombreux autres pays africains célébrer le cinquantenaire de son indépendance.

Ici le constat peut être amer. Le Congo a eu bien du mal à trouver la stabilité et a connu le pire, violence, guerre civile, dont il commence doucement à se remettre.L’occasion aussi d’éclairer un des points qui structure l’ensemble de la société congolaise depuis cinquante ans, et qui explique encore bien les difficultés d’unité nationale, le contexte ethnique particulièrement compliqué (comme dans de nombreux pays africains d'ailleurs.

Au Congo, la majorité de la population est bantou soit une communauté linguistique présente dans  plusieurs pays d’Afrique (Gabon, Soudan, Namibie) et qui rassemble 450 langues apparentées. Au sein des bantous congolais, on compte de nombreuses ethnies, au moins 74, réparties en différents groupes et dans différentes régions.

Il y a trois principales ethnies : les kongo, les tekes et les mbochis.

Au sud du Congo vit le groupe kongo soit grosso modo la moitié des 3 millions huit cent mille habitants du pays. Parmi les kongo, les laris habitant du département du Pool et de la région de Brazzaville sont majoritaires.

L’ethnie teke est la deuxième plus importante (20% de la population). Les tékés habitent dans le centre du pays, dans la région des plateaux au Nord de Brazzaville. Ils descendent des rois Tekes traditionnels, et bénéficie de la notoriété des voisins tékés gabonais : les principaux responsables politiques gabonais dont la célèbre famille Bongo sont tékés. Relativement marginalisés des cercles du pouvoir, ils gardent donc malgré tout une certaine importance.

Les mbochis sont le troisième groupe. Ils représentent 15% de la population et occupent la région de la Cuvette et le Nord du pays. Tous les présidents congolais depuis 1968 sont mbochis, excepté entre 1992 et 1997, quand le téké Pascal Lissouba était au pouvoir.

Aujourd’hui encore la solidarité ethnique constitue la base de l’organisation du pays. Dans la sphère politique, depuis les premiers pas vers l’indépendance, le paysage politique s’est structuré autours d’un conflit entre les ethnies du Nord et du Sud du pays. Dès la fin des années 50, Fulbert Youlou lari issu du Pool s’oppose à Jacques Opangault, mbochi des plateaux. Depuis 1968 et l’arrivée au pouvoir de Marien Ngouabi, le clan majoritaire au pouvoir (malgré cinq ans d’interruption) sont les mbochis de la Cuvette et des Plateaux, isolant les lari se Brazzaville et de la région du Pool.

De la même façon, la guerre civile de 1993 à 2002 opposait autant des personnalités et des clans que des ethnies du Nord et du Sud.La monopolisation du pouvoir par les mbochis, ethnie pourtant minoritaire, se ressent clairement dans l’organisation et le développement du pays. Les élites nommées par le pouvoir sont la plupart mbochis et choisis selon des critères ethniques. Les laris, à l'exception de quelques fidèles des différents présidents sont eux largement écartés des postes influents. Même chose pour le développement du Congo centré principalement sur le Nord du pays dont sont issus les mbochis. L’exemple le plus frappant est la ville présidentielle d’Oyo. Petit village rural à l'origine, Oyo se transforme en ville moderne, se dote d'hôtels, d'infrastructures démesurées par rapport au nombre d'habitants de la ville, et devient la véritable vitrine du pouvoir. Le Pool , pourtant la région la plus touchée par la guerre, reste quant à lui, livré à lui-même. Le brigandage qui s'y perpétue depuis la fin de la guerre civile en 97 semble s’exercer dans une relative indifférence.

Cette force centrifuge traverse l’ensemble de la société. La solidarité ethnique joue dans tous les milieux : notamment pour trouver un emploi, particulièrement dans les domaines exposés : médias…
Dans ce contexte, l’adhésion de la population au pouvoir et l’unité nationale est difficile à obtenir.

Pour certains Congolais, peut être manque-t-il également une figure historique tutélaire, dans laquelle chacun pourrait se reconnaître quelque soit son appartenance ethnique, à la manière d’ Houphouët-Boigny en Cote d’Ivoire, d’un Senghor à Dakar, ou même d’un Lumumba en RDC. Quelques intellectuels citent André Matsoua qui dans les années 30 joua un grand rôle dans le développement des syndicats, la dénonciation des abus coloniaux et la revendication d’autonomie pour le pays.
Seul problème, André Matsoua était lari.

mercredi 16 juin 2010

Les deux Congo




Il y a deux Congo en Afrique centrale : la République du Congo et la République Démocratique de Congo. On y partage la même langue officielle, le lingala, un certain nombre de préoccupations communes, et les deux capitales Brazzaville et Kinshasa se font face, séparées par le fleuve Congo. A cinq km de distance, ce sont les deux capitales les plus proches au monde (si l’on excepte le Vatican).

Et pourtant, ce sont deux mondes complètement différents.

Sur une carte d’abord, le contraste saute aux yeux.
La RDC fait quatre fois la France (2 millions 300 000 m²) et est le pays le plus peuplé d’Afrique Centrale avec ses 72 millions d’habitants.
De l’autre côté de la rive, le Congo Brazzaville, avec 340 000 km² de superficie et moins de 4 millions d’habitants fait figure de petit Poucet.

Dans les relations avec les autres pays africains, les deux pays ne regardent pas dans la même direction.

Le Congo-Brazzaville malgré les nombreuses marchandises kinoises présentes dans le pays, est tourné vers ses voisins de la côte et du Nord, ses partenaires de la CEMAC (Communauté des Etats d’Afrique Centrale) : le Gabon,la Guinée Equatoriale,le Cameroun, la Centrafrique, le Tchad, avec qui le pays partage la même monnaie : le Franc CFA.

Côté RDC, toute l’attention et tous les problèmes se concentrent à l’Est et la région stratégique des Grands Lacs : Ouganda, Burundi ou Rwanda avec qui les relations sont on ne peut plus compliquées. La RDC tourne donc le dos à son voisin congolais, monnaie comprise, puisque dans le pays tout s’échange en dollars et en francs congolais.

Enfin, il y a dans chaque Congo des situations internes bien différentes. Alors que le Congo Brazzaville a depuis 10 ans retrouvé le calme, et grâce au pétrole une forte croissance dont profite malheureusement une classe retreinte et privilégiée, la RDC reste complètement instable. Les conflits armés continuent à l’image de la région des deux Kivus où les exactions se multiplient. L’économie s’en ressent : le PIB par habitant en RDC est au moins 6 fois inférieur à celui de son voisin (même si la rente pétrolière du Congo Brazza y est pour beaucoup).

D’où un Congo Brazzaville qui regarde avec inquiétude un voisin bien encombrant.
A Brazzaville, « Zaïrois » (la RDC est l’ex-Zaïre) est presque une insulte et l’agitation du pouvoir face à la récente affaire des réfugiés de la Likouala (115 000 Réfugiés de RDC installés dans la région de la Likouala, au Nord de la République du Congo) témoigne de la méfiance du gouvernement à l’égard de la RDC. En RDC, compte tenu des multiples difficultés du pays, ces réfugiés constituent à peine un problème comme le petit Congo-Brazza un interlocuteur intéressant.

Le grand écart congolais est symbolisé par le contraste entre Kinshasa et Brazzaville.
Quelques minutes sur place suffisent à sentir la différence. A Kin, les militaires de la MONUSCO (Mission de l’ONU de stabilisation de la RDC) patrouillent dans la ville et on croise une voiture de l’ONU tous les 300 mètres. Rares sont les moundele (blancs) à oser sortir seul, tant l’insécurité est grande dans cette grande capitale agitée. Coté positif, on y trouve une vie culturelle bouillonnante et le dynamisme d’une grande ville avec de nombreux marchés, de l’artisanat, des magasins, des sorties….



En face, Brazza la verte et ses 1 million 300 000 habitants ressemble à un petit village. On s’y promène seul, à toute heure, et la vie est calme et paisible. Trop pour certains d’ailleurs. Mais il suffit d’un visa, de 7 minutes de traversée, et d’une bonne dose de patience à la douane pour changer d’univers.