mercredi 2 novembre 2016

L'Afrique centrale, allergique à la démocratie ?

Article paru initialement sur l'Afrique des idées, et disponible ici

Idriss Déby, Ali Bongo et Denis Sassou Nguesso
Internet coupé, élections contestées et violences : la présidentielle du 27 août au Gabon a de tristes airs de déjà-vu. Comme si se rejouait cinq mois plus tard la mauvaise pièce du Congo voisin, à Brazzaville, où le président Sassou Nguesso a été lui aussi réélu dans des conditions controversées, après un scrutin du 20 mars peu crédible de l’aveu de l’Union Européenne et entaché “d’irrégularités généralisées” selon les Etats-Unis.

Le vent des alternances qui souffle en Afrique de l’Ouest, du Burkina au Bénin, n’a donc pas atteint l’Afrique Centrale, protégée semble-t-il par un drôle de microclimat. Bien sûr la région n’a pas le monopole du pouvoir autoritaire et du trucage électoral et les pays qui la composent ont leurs dynamiques propres. Mais de la Guinée équatoriale d’Obiang Nguema au Congo de Sassou Nguesso, en passant par le Gabon d’Ali Bongo et le Cameroun de Paul Biya, les similitudes sont troublantes jusqu’à faire de l’Afrique centrale “le cœur des ténèbres de la démocratie”, selon Achille Mbembé ?
Filles et fils de
 
D’abord, le pouvoir reste une affaire de famille et de clan. Les “filles et fils de” sont vice-président (en Guinée équatoriale), députés (au Congo), responsable du secteur pétrolier (encore au Congo), ou encore président comme en RDC ou au Gabon où Ali a succédé à son père Omar Bongo en 2009.

La présidentielle gabonaise version 2016 est un cas d’école avec un duel entre le sortant Ali Bongo et son ex-beau-frère, Jean Ping, ancien compagnon de Pascaline Bongo et qui fut également plusieurs années ministre d’Etat, sous le règne de Bongo père. Avec pour compliquer le tout, des relations familiales parfois transfrontalières, comme entre le Congo et le Gabon où Omar Bongo, avait pour épouse Edith Sassou Nguesso, la fille du président congolais. 

37 ans en Guinée équatoriale comme en Angola, 33 au Cameroun, 32 au Congo-Brazza, les chefs d’Etat se livrent en outre à un véritable concours de longévité au pouvoir. Sur ce point, il faut l’admettre l’Afrique centrale n’est pas seule. Songez à Yoweri Museveni en Ouganda (30 ans), Robert Mugabe au Zimbabwe (28 ans, si l’on ne compte pas ses années à la primature) et Omar el-Béchir au Soudan (27). 

La classe politique et la société civile y sont aussi extrêmement fragmentées et fragilisées par la force centrifuge du chef de l’Etat et de ses richesses. Le philosophe Achille Mbembe dénonce ainsi “des systèmes de chefferie, où on règne sur des captifs ou au mieux sur des clients” et “une captation des élites dans une économie du désir et de la parure”.
Rentes et corruption

Autre critère fondamental, la plupart de ces régimes fonctionnent grâce à l’exploitation des ressources naturelles, notamment pétrolières, avec une économie peu diversifiée et un système de rentes, favorable à la corruption et à la confiscation des richesses.

L’exploitation du pétrole est au cœur de l’économie du Gabon, du Congo-Brazzaville et de la Guinée équatoriale, déstabilisés d’ailleurs par la chute des cours ces derniers mois.
Et ce sont ces mêmes trois pays qui sont les premiers visés par la fameuse affaire des biens mal acquis où des ONG accusent des chefs d’Etat et leur entourage d’avoir détourné de l’argent public pour acquérir de luxueux biens privés.

“C’est une région où la corruption et la vilénie ont atteint des proportions transnationales, dans la mesure où ce sont des régimes soutenus par des forces économiques internationales et des acteurs politiques transcontinentaux”, déplore encore Achille Mbembe. 

Enclavement et relations incestueuses

Malgré la présence de ces entreprises multinationales, l’intellectuel camerounais insiste sur le relatif isolement des populations d’Afrique Centrale, où “les pays sont les plus enclavés de la sous-région. En Afrique de l’Ouest, vous voyagez avec votre carte d’identité du Sénégal au Bénin. En Afrique Centrale, on ne peut pas circuler librement”. De quoi être à l’écart des dynamiques politiques et intellectuelles en cours sur le continent.

Dans la pratique, le Cameroun a bien été à l’initiative d’un passeport biométrique CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) en 2014 censé permettre de se déplacer d’un pays à l’autre sans visa, mais encore faut-il que les services d’immigration soient à la page. 

La région reste en marge des grands carrefours de circulation du continent, avec un taux de bitumage des routes encore très faibles et pour ce qui est des lignes aériennes internationales, dans le cas de Libreville (Gabon) et Brazzaville (Congo), une polarisation vers l’ancienne puissance coloniale, la France. Pour ces deux pays, la question de la relation ambigüe avec la France tient encore une place centrale dans la vie politique, avec des nuances toutefois.

Au Gabon, la passation de pouvoir d’Omar à Ali Bongo en 2009, a amené une forme de rééquilibrage des relations et tourné en partie la page d’une “Françafrique” dont Omar Bongo était un des piliers.  Avec quelques soubresauts malgré tout. En contestant sa défaite, l’opposant Jean Ping en appelle à la France, en regrettant une forme de “non-assistance à peuple en danger”, comme si inévitablement, le rôle d’arbitre revenait à Paris.

Au Congo, Denis Sassou Nguesso, arrivé au pouvoir en 1979, reste lui un héritier de ces relations incestueuses franco-africaines où se mêlent diplomatie classique et réseaux d’influence parallèles. En témoigne l’embarras de l’Elysée au moment du référendum organisé dans le pays pour permettre au président de se représenter à un nouveau mandat.
Vers une recomposition politique ?

Faut-il pour autant résumer ces pays à des pétro-Etats dynastiques condamnés à échapper à la démocratie ? En se focalisant sur le scrutin présidentiel, le risque est de passer à côté des mouvements à l’œuvre au sein des différentes sociétés.

Malgré la crise gabonaise, un historien comme Jean-Pierre Bat soutient qu’une recomposition politique est bien en cours dans le pays depuis 2009. L’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo coïncide selon lui avec une série de ruptures sur le plan diplomatique mais aussi intérieur avec une fragmentation du clan Bongo et de l’autre côté une opposition mieux organisée qui est parvenue à s’accorder sur une candidature unique en la personne de Jean Ping.

A Libreville, si certains médias gabonais ont été attaqués ou incendiés pendant la crise, les journalistes étrangers sur place ont plutôt reconnu qu’ils pouvaient quant à eux travailler sans difficulté et “couvrir les violences de façon libre”. 

“Ce qui me surprend le plus au Gabon, c’est la permissivité dont les forces de sécurité font preuve à mon égard. Savoir jusqu’où l’on peut faire son travail de journaliste sans être inquiété est souvent un bon baromètre du degré de démocratie dans un pays”, raconte ainsi le photographe de l’Agence France Presse (AFP) Marco Longari. 

A l’inverse, au Congo-Brazzaville, les trois journalistes du quotidien Le Monde et de l’AFP qui s’étaient risqués à interroger le principal candidat de l’opposition, Jean-Marie Michel Mokoko, après la présidentielle, avaient aussitôt été agressés et dépouillés de leur matériel par des hommes se présentant comme des policiers. 

Au Cameroun, au-delà de la longévité au pouvoir de Paul Biya, on pourrait souligner la plus grande diversification de l’économie ou les progrès faits en matière agricole. Il faut aussi mettre en évidence l’ébullition politique et sociale dans les rues, avec la manifestation inédite d’octobre 2015 à Brazzaville, où les événements de 19 et 20 septembre à Kinshasa, dans la RDC voisine, réprimés par le pouvoir en place. 

Il n’en reste pas moins que l’Afrique Centrale reste orpheline des changements politiques majeurs qui ont en partie changé la donne sur le continent ces derniers mois. “Cela prendra un moment, il faut qu’une dynamique s’enclenche”, analyse Achille Mbembe. “S’il y avait eu alternance au Gabon, cela aurait eu des répercussions inéluctables sur l’ensemble de la sous-région”, conclut-il.

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